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SCIENCE - LE FARDEAU D’UN GÈNE - 12 SEPTEMBRE 2024

Une variante appelée APOE4 est connue pour son lien avec la maladie d’Alzheimer. 

De nouvelles connaissances sur sa fonction peuvent-elles aider à prévenir la maladie ?

PAR JOCELYN KAISER, journaliste scientifique

 

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Ray Smith, 70 ans (à gauche), et Carol Turner, 68 ans (à droite), avec leur mère Mattie Smith, 90 ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer.
Ray Smith a hérité de deux copies du gène de risque d’Alzheimer APOE4 ; Turner en possède une copie.
BILL TIERNAN

 

Carol Turner et son frère Ray Smith ont pu voir de près ce que c’est que de vivre avec la maladie d’Alzheimer. En 2020, leur père est décédé à l’âge de 93 ans dans un service de démence, après avoir passé des mois à voir sa famille à travers une fenêtre à cause de la pandémie de COVID-19. Peu de temps après, leur mère a montré des signes : elle avait du mal à dormir, elle ne reconnaissait pas certains visages et sa recette de brownie préférée ne fonctionnait plus tout à fait. Des scanners cérébraux ont révélé une abondance de plaques de bêta-amyloïde, la protéine collante caractéristique de la maladie d’Alzheimer.

Compte tenu de ces antécédents familiaux, le gériatre de leur mère à l’école de médecine de l’est de la Virginie, à proximité de Norfolk, savait que les frères et sœurs pouvaient être à haut risque de développer la maladie d’Alzheimer. Il leur a indiqué un essai clinique pour lequel un site de la faculté de médecine recherchait des participants pour tester un traitement préventif. Là, des tests ADN ont révélé des nouvelles plus inquiétantes. Smith, aujourd’hui âgé de 70 ans, est porteur de deux copies de la variante génétique la plus courante – et peut-être la plus fascinante sur le plan scientifique – des variantes plus étroitement liées à la maladie d’Alzheimer à un stade avancé de la vie : APOE4. Turner, 68 ans, en est porteur d’une copie.

Cette variante est devenue un sujet de préoccupation majeur depuis que la découverte qu’elle augmente considérablement le risque de maladie d’Alzheimer a électrisé le domaine il y a plus de 30 ans. Les 164 millions de personnes dans le monde qui sont porteuses de deux copies d’APOE4, l’une des trois variantes du gène APOE, peuvent avoir un risque de développer une maladie d’Alzheimer à un stade tardif de huit à 25 fois plus élevé que celles qui ne sont porteuses que de la version la plus courante du gène, APOE3. Environ 1,6 milliard de personnes ont une seule copie de cette variante, dont l’auteur de cet article. Pour nous, le risque de maladie peut également être multiplié par trois ou plus, selon l’ascendance de la personne.

La découverte en 1993 du rôle de l’APOE4 dans la maladie d’Alzheimer semblait prometteuse de nouvelles perspectives sur les racines de cette maladie déconcertante, et peut-être une nouvelle cible thérapeutique. Mais les progrès ont été lents. La protéine codée par l’APOE, l’apolipoprotéine E (ApoE), joue de nombreux rôles dans le cerveau, ce qui rend difficile de distinguer ceux qui sont pertinents pour le développement de la maladie et pourquoi certaines variantes de l’APOE augmentent le risque. Mais les scientifiques pourraient enfin gagner du terrain. De nouvelles connaissances sur les effets de l’APOE, ainsi qu’une vague d’études sur des versions protectrices rares, alimentent l’intérêt pour des thérapies potentielles qui contreraient les effets nocifs de l’APOE4.

Une étude publiée par des chercheurs espagnols en mai dans Nature Medicine, qui renforce l’idée que l’APOE4 devrait être considérée non seulement comme un facteur de risque de la maladie, mais comme une cause directe, rend ces efforts encore plus urgents. L’étude a révélé que sur les 2 % de personnes d’origine européenne possédant deux copies de l’APOE4, 75 % présenteront une accumulation d’amyloïde sur les scanners cérébraux (mais pas nécessairement de démence) à l’âge de 65 ans. Le rôle de cette variante dans la maladie est « devenu de plus en plus clair », explique Yadong Huang, expert de l’APOE4 aux Instituts Gladstone, qui a rédigé un commentaire d’accompagnement.

De telles découvertes ont stimulé le petit groupe de chercheurs sur la maladie d’Alzheimer qui ont consacré leur carrière à l’APOE4. « L’APOE joue un rôle important non seulement dans le risque d’Alzheimer, mais aussi probablement dans la progression de la maladie », déclare le neurologue et neuroscientifique David Holtzman de l’Université de Washington à Saint-Louis. « C’est vraiment fantastique que les gens cherchent maintenant des moyens de la cibler. »

Après avoir appris qu’elle et son frère étaient porteurs du « gène d’Alzheimer » et qu’ils souffraient déjà d’amyloïde cérébrale, Turner s’est inquiétée. « Le médecin a dit : "Vous et votre frère allez probablement l’attraper plus tard si vous ne faites rien". »  Fin 2021, Turner est devenue la première Afro-Américaine à participer à l’essai, dans lequel les personnes présentant des niveaux importants d’amyloïde mais aucun symptôme d’Alzheimer reçoivent soit un placebo, soit des perfusions bihebdomadaires ou mensuelles d’un anticorps éliminant l’amyloïde, appelé lecanemab pour peut-être retarder la maladie. Smith a rejoint l’essai peu de temps après. Plus de 2 ans après le début du traitement de 4 ans, tous deux disent n’avoir remarqué aucun déclin de leur mémoire.

L’APOE ÉTAIT À L’ORIGINE connue pour son rôle dans la régulation du cholestérol sanguin, qui contribue aux maladies cardiovasculaires. (La plupart des personnes porteuses de la variante génétique APOE2 ont un faible taux de cholestérol et sont protégées contre les maladies cardiaques, alors que les porteurs de l’APOE4 sont les plus à risque.) Mais au début des années 1990, des chercheurs de l’Université Duke ont identifié une région de l’ADN liée à un risque plus élevé de maladie d’Alzheimer à apparition tardive, qui commence après 65 ans et est la forme la plus courante de la maladie. L’équipe de Duke et d’autres ont également découvert un autre indice : la protéine ApoE, dont le gène se trouvait dans la région suspecte, était présente dans les plaques amyloïdes soupçonnées de provoquer des lésions neurologiques dans la maladie d’Alzheimer.

En 1993, le groupe de la généticienne de Duke Margaret Pericak-Vance a identifié la variante à risque APOE4 en comparant les gènes des personnes qui ont développé une maladie d’Alzheimer à apparition tardive avec ceux de leurs proches non touchés, soit 234 personnes issues de 42 familles au total.

Cette découverte, publiée dans Science, a été annoncée comme une avancée majeure dans le domaine. Le neurologue Allen Roses, qui a dirigé l’équipe chargée d’étudier l’APOE à Duke, a prédit dans le New York Times que « dans 10 à 15 ans, nous disposerons d’un médicament sûr et efficace qu’une personne de 50 ans pourrait prendre tous les jours pour prévenir la maladie d’Alzheimer ».

Des études de plus grande envergure ont rapidement révélé que les porteurs d’APOE4 accumulaient plus d’amyloïde plus tôt dans la vie que les non-porteurs, bien avant de développer les symptômes de la maladie d’Alzheimer. Le groupe de Duke et d’autres ont fait la découverte tout aussi convaincante que les personnes ayant une ou deux copies d’une variante différente, APOE2, développaient peu d’amyloïde et étaient protégées de la maladie. Des différences intrigantes basées sur l’ascendance sont également apparues : les risques pour les Afro-Américains porteurs d’APOE4 sont légèrement inférieurs à ceux des personnes ayant des ancêtres européens, tandis que chez les Asiatiques de l’Est, le risque est beaucoup plus élevé, jusqu’à 25 fois plus élevé pour les personnes ayant deux copies, par rapport à celles ayant deux gènes APOE3.

Et pourtant, malgré près de 7 000 articles publiés sur APOE4 et la maladie d’Alzheimer, la prédiction de Roses concernant un traitement sûr et efficace ciblant la protéine reste un espoir lointain. Cela est en partie dû au fait que l’ApoE a de multiples sources dans le cerveau et joue divers rôles. La protéine est principalement fabriquée par les astrocytes, des cellules qui aident à nourrir et à entretenir les neurones, ainsi que par les cellules microgliales, les cellules immunitaires du cerveau. En cas de stress, les neurones en produisent également.

Des travaux commencés dans les années 1980 ont révélé que la principale fonction de l’ApoE dans le cerveau est d’aider au transport et au traitement des lipides, essentiels à la capacité des cellules à réparer les dommages, à transmettre des signaux, etc. La protéine se lie au cholestérol et à d’autres lipides pour former des particules qui sont délivrées aux cellules cérébrales, qui les décomposent ensuite en formes utilisables par les cellules.

Des études ont également montré que l’ApoE aide à éliminer l’amyloïde, une tâche que l’ApoE4, qui diffère de l’ApoE2 et de l’ApoE3 par seulement deux acides aminés, fait moins efficacement. Le cerveau des porteurs de l’APOE4 développe non seulement plus d’amyloïde que celui des non-porteurs, mais est également moins capable de briser les plaques si elles se forment. Ils sont également plus susceptibles de produire des enchevêtrements mal repliés d’une protéine appelée tau qui contribuerait à la maladie. Mais ce ne sont pas les seules voies possibles par lesquelles APOE4 pourrait provoquer la maladie d’Alzheimer : les chercheurs ont également découvert que la protéine de cette variante altère les centrales énergétiques cellulaires appelées mitochondries, rend la barrière hémato-encéphalique plus perméable aux toxines, entrave le transport et le métabolisme des lipides et accélère l’inflammation, ce qui endommage les neurones.

De petites différences, de grands effets

Les trois formes de protéines codées par les variantes génétiques APOE2, APOE3 et APOE4 ne diffèrent que d’un ou deux acides aminés (en bleu, ci-dessous), mais entraînent des différences considérables dans le risque de maladie d’Alzheimer.

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Le hasard du tirage au sort

Différentes combinaisons des trois variantes du gène APOE (APOE2, APOE3 et APOE4) augmentent ou diminuent le risque de maladie d’Alzheimer à un âge avancé. Ces courbes sont issues d’une étude de 2020 portant sur 5 000 personnes blanches non hispaniques décédées, atteintes ou non de la maladie d’Alzheimer. De telles études rétrospectives peuvent exagérer les risques ; dans les études qui ont suivi des personnes cognitivement normales au fil du temps, au moins 40 % des porteurs d’APOE4/4 n’étaient toujours pas atteints de démence à 85 ans.

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Holtzman soupçonne que parmi ces nombreux effets, « il n’y en a probablement que quelques-uns qui ont vraiment un impact majeur sur la maladie ». Mais le défi d’identifier les effets pertinents et de démêler leurs mécanismes a dissuadé les développeurs de médicaments potentiels. Le fait que les chercheurs ne sachent pas exactement quel effet un traitement devrait avoir n’a pas aidé. Si l’ApoE4 causait des dommages parce qu’il était trop faible pour éliminer l’amyloïde, une thérapie idéale devrait augmenter ses niveaux dans le cerveau. En revanche, s’il était intrinsèquement nocif, un traitement devrait le freiner.

Des chercheurs affirment que l’intérêt pour l’APOE4 a également diminué parce que le domaine de la maladie d’Alzheimer était fixé sur l’amyloïde comme cause principale de la maladie. « Nous étions en concurrence avec l’hypothèse de l’amyloïde », en particulier l’idée selon laquelle l’élimination directe des plaques pourrait traiter la maladie, explique Pericak-Vance, aujourd’hui à l’Université de Miami. Des milliards de dollars de recherche publique et privée ont été consacrés à tenter de montrer que les anticorps anti-amyloïdes pouvaient ralentir la maladie d’Alzheimer.

Ces travaux ont conduit à l’approbation aux États-Unis du lécanemab en 2023, et d’un deuxième médicament, le donanemab, en juillet, pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer au stade précoce. Mais les avantages de ces thérapies anti-amyloïdes sont modestes et elles peuvent entraîner de graves effets secondaires, notamment un gonflement et des saignements cérébraux. Les porteurs d’APOE4 y sont particulièrement sujets, peut-être parce que leurs vaisseaux sanguins cérébraux sont plus chargés en amyloïdes et s’affaiblissent lorsque les plaques sont retirées.

Pourtant, les études sur l’APOE4 n’ont jamais été complètement éclipsées par la recherche sur l’amyloïde. À partir de 2018, par exemple, le neuroscientifique du Massachusetts Institute of Technology Li-Huei Tsai et ses collaborateurs ont montré comment un traitement altéré des lipides dans des types de cellules spécifiques hébergeant l’APOE4 les altère de manière à provoquer des maladies. Les neurones deviennent hyperactifs, les astrocytes et la microglie se remplissent de lipides et deviennent moins efficaces, et des cellules appelées oligodendrocytes ne parviennent pas à maintenir la gaine autour des fibres nerveuses.

Les études sur les variantes protectrices de l’APOE ont également dynamisé le domaine. En 2019, des chercheurs de la Harvard Medical School dirigés par le neuropsychologue Yakeel Quiroz ont décrit une femme colombienne qui, comme une grande partie de sa famille élargie, était porteuse d’un gène muté rare qui provoque presque inévitablement la maladie d’Alzheimer vers l’âge de 40 ans. Pourtant, contrairement à beaucoup de ses proches, elle n’a pas développé de problèmes cognitifs avant 70 ans, même si elle avait une quantité abondante d'amyloïde.

L’explication apparente était une autre mutation inhabituelle, cette fois dans ses deux copies de l’APOE3. Connue sous le nom de Christchurch pour sa découverte chez un Néo-Zélandais atteint d’une maladie lipidique en 1987, la mutation rend l’ApoE moins efficace pour se lier aux héparane sulfate protéoglycanes, des molécules qui recouvrent les cellules cérébrales – un effet qui, selon les chercheurs, pourrait expliquer les niveaux étonnamment bas de tau trouvés dans le cerveau de la femme. En juin, la même équipe a rapporté dans le New England Journal of Medicine que 27 personnes porteuses du gène Alzheimer de la famille colombienne et d’une seule copie de la mutation Christchurch sont restées en bonne santé cognitive cinq ans de plus que celles qui n’avaient pas la mutation. Ces travaux suggèrent que de futurs médicaments pourraient prévenir la maladie en imitant ce changement génétique.

Les chercheurs semblent également être parvenus à un consensus sur le débat de longue date sur la question de savoir si une thérapie doit augmenter ou bloquer l’ApoE4. L’année dernière, le directeur du National Institute on Aging, Richard Hodes, et l’ancien directeur des National Institutes of Health (NIH), Francis Collins, ont demandé à un groupe de travail de chercheurs sur l’APOE4 d’examiner les dernières preuves.

L’un des indices est venu d’études à grande échelle sur la maladie d’Alzheimer chez les Afro-Américains menées par Jeffery Vance de l’Université de Miami, qui est le mari de Pericak-Vance. Son équipe a découvert que les personnes qui ont hérité de l’APOE4 d’ancêtres africains ont des différences dans l’ADN environnant qui réduisent l’expression du gène dans les cellules cérébrales par rapport à celles qui l’ont hérité d’ancêtres européens. Cela pourrait expliquer pourquoi les porteurs afro-américains de l’APOE4 ne sont pas confrontés à un risque aussi élevé de développer la maladie d’Alzheimer que les porteurs blancs. Une autre étude menée cette année par le neurologue Michael Greicius de l’université de Stanford a trouvé deux individus blancs non hispaniques porteurs d’une copie de l’APOE4 qui sont restés sans démence et sans amyloïde à 76 et 90 ans, apparemment en raison de mutations qui ont désactivé la variante – une preuve supplémentaire que la réduction de l’ApoE4 pourrait être utile.

Après avoir examiné ces études et d’autres, le groupe de travail du NIH a publié en janvier a publié en janvier ce que Collins appelle « un article très complet » dans les Annals of Neurology. Il conclut, dit-il, que, du moins chez les personnes d’origine africaine et européenne, l’ApoE4 « est clairement une toxine ».

Ce consensus et la richesse des nouvelles découvertes font avancer les travaux sur une série de stratégies visant à cibler l’APOE4 pour traiter ou prévenir la maladie d’Alzheimer. Certaines équipes espèrent utiliser un brin d’ARN pour se lier à l’APOE4 et l’inhiber partiellement. (Une certaine quantité d’ApoE pourrait être nécessaire pour maintenir la fonction cérébrale.) De tels médicaments à base d’oligonucléotides antisens, injectés dans le liquide céphalorachidien, ont été approuvés pour traiter deux maladies neurodégénératives rares. L’équipe de Holtzman a signalé qu’un médicament antisens ciblant l’APOE pourrait freiner la production d’enchevêtrements de tau et les lésions cérébrales chez les souris atteintes de la variante APOE4. Mais il ne bloquait l’amyloïde que s’il était administré aux souris nouveau-nées.

La biochimiste Anastasia Khvorova pense que c’est parce que les souris produisaient encore trop de protéines ApoE. Son équipe de la faculté de médecine Chan de l’université du Massachusetts a rapporté plus tôt cette année que chez les souris adultes sujettes à une pathologie de type Alzheimer, de courts doubles brins de matériel génétique appelés petits ARN interférents, qui marquent l’ARN messager d’un gène pour la destruction, peuvent « faire taire l’APOE dans le cerveau de manière très puissante » sans réduire les niveaux nécessaires à l’extérieur du cerveau, explique Khvorova. Cette approche a freiné la formation de plaques amyloïdes. Les deux approches de médicaments à base d’ARN sont actuellement en cours de développement par des entreprises.

De tels médicaments seraient injectés dans le liquide céphalorachidien au moins tous les quelques mois. Mais certains chercheurs explorent ce qui serait un traitement ponctuel qui modifierait un gène dans les cellules cérébrales. À titre de preuve de concept, dans une étude de Nature Neuroscience l’automne dernier, le laboratoire de Huang a montré que des souris nouveau-nées conçues pour porter la mutation Christchurch dans l’une ou les deux copies de leur ARN messager APOE4 étaient partiellement ou totalement protégées contre le développement d’une pathologie de type Alzheimer à l’âge adulte. Un groupe dirigé par le physiologiste Lance Johnson de l'Université du Kentucky a modifié génétiquement une souris afin qu'un médicament puisse remplacer APOE4 par APOE2 dans certains types de cellules cérébrales. Lors d'une réunion l'année dernière, il a rapporté que le remplacement à mi-espérance de vie dans les seuls astrocytes avait inversé l'accumulation d'amyloïde chez les animaux.

Une approche de modification génétique a atteint le stade clinique. En 2019, un groupe dirigé par le chercheur en thérapie génique Ron Crystal de Weill Cornell Medicine a commencé à injecter un virus porteur de l’APOE2 dans la colonne vertébrale supérieure de 15 patients porteurs de deux copies de l’APOE4 et présentant une déficience cognitive légère ou des symptômes de la maladie d’Alzheimer. Des échantillons de liquide cérébral des premiers patients ont suggéré que leur cerveau produisait de l’APOE2 et produisait moins d’amyloïde et de tau, selon les comptes rendus de réunion de l’équipe de Crystal, qui prévoit de partager les résultats complets cet automne. Le sponsor de l’essai, la société de biotechnologie Lexeo Therapeutics, travaille également sur l’introduction d’un gène APOE2 avec la mutation Christchurch, et sur une autre thérapie qui ajouterait l’APOE2 et ferait taire l’APOE4.

Des vecteurs viraux plus précis en cours d’élaboration, qui ciblent le cerveau, pourraient permettre d’injecter un traitement dans le sang d’une personne plutôt que dans sa colonne vertébrale. Cependant, la modification génétique du cerveau pourrait être une mesure coûteuse et extrême pour les porteurs d’APOE4 comme Turner et Smith, qui sont cognitivement normaux mais présentent un risque élevé de développer la maladie d’Alzheimer.

Holtzman et son groupe ont développé une intervention moins radicale : un anticorps qui se lie à une forme particulièrement nocive de la protéine ApoE4 et l’élimine. Ils ont montré qu’il peut prévenir une pathologie de type Alzheimer chez la souris. Le groupe de Tsai étudie si un cocktail de médicaments ou de suppléments déjà approuvés pourrait contrecarrer certains des dommages causés par l’APOE4 que son groupe a observés. L’équipe a signalé, par exemple, que la choline, un nutriment, peut corriger le traitement des lipides dans des astrocytes humains cultivés contenant de l’APOE4. Dans le cadre d’un petit essai au Texas, les collaborateurs de Tsai testent les effets des suppléments de choline sur les profils lipidiques du liquide céphalorachidien de personnes cognitivement normales possédant au moins une copie de l’APOE4.

« C’est un petit pas vers la réalisation de notre idée d’un moyen abordable, accessible et sûr de faire avancer les choses pour les porteurs », déclare Tsai.

TOUS CES PROGRÈS suscitent l’espoir chez les personnes qui savent qu’elles sont porteuses de la variante APOE4 et qui sont désireuses d’améliorer leurs chances. Leurs rangs s’agrandissent rapidement. Beaucoup, y compris moi, apprennent leur statut grâce à des tests ADN accessibles directement aux consommateurs tels que 23andMe. Plusieurs médecins-chercheurs interrogés pour cet article ont déclaré que les porteurs d’APOE4 se présentent à leurs cabinets, inquiets du risque qu’ils courent.

Un traitement que quelqu’un comme moi pourrait prendre pour se prémunir contre la maladie d’Alzheimer semble désormais possible, même si cela pourrait prendre des années. Que faisons-nous, nous les porteurs d’APOE4, en attendant ? En tant que porteur d’une copie d’APOE3 et d’une copie d’APOE4, j’ai trois fois plus de risques qu’une personne blanche porteuse de deux copies d’APOE3 – une chance de 30 %, ou plus selon certaines estimations, de développer la maladie d’Alzheimer à l’âge de 85 ans, soit dans 26 ans. J’ai hérité de l’APOE4 de mon père, qui souffrait de démence et qui se souvenait à peine de moi lorsqu’il est décédé.

Hussein Yassine, chercheur sur la maladie d’Alzheimer à l’Université de Californie du Sud (USC), souligne que le fait d’être porteur de l’APOE4 n’est pas intrinsèquement un défaut. La variante pourrait en fait être la forme originale du gène, celle que possédaient nos premiers ancêtres humains, et pourrait en fait offrir des avantages. « Il y a une raison pour laquelle tant de personnes en sont porteuses », dit-il. Certaines études ont suggéré que l’APOE4 aide les porteurs à lutter contre les agents pathogènes de l’enfance. D’autres recherches suggèrent même que les jeunes adultes porteurs de l’APOE4 ont une meilleure mémoire spatiale et d’autres avantages cognitifs subtils.

Mais il existe également des preuves que le mode de vie sédentaire et la forte consommation de sucres raffinés courants chez les humains modernes pourraient exacerber les inconvénients du gène, dit Yassine. « La vie moderne ne convient pas à certaines personnes porteuses de l’APOE4. »

Les conseils des scientifiques aux porteurs de l’APOE4 : bien manger, faire de l’exercice, dormir suffisamment, contrôler le cholestérol et la tension artérielle et stimuler son esprit. Toutes ces habitudes semblent réduire le risque de maladie d’Alzheimer pour tout le monde. Au Centre de santé cérébrale personnalisée de l’USC, lancé en 2023 expressément pour recruter des porteurs d’APOE4 pour des études de prévention et de découverte de médicaments, Yassine prévoit des essais pour tester certaines de ces stratégies de style de vie. Il termine également une étude sur des doses élevées d’oméga-3, une forme de graisse qui, selon certaines données, protège les porteurs d’APOE4 de la neuroinflammation.

Turner est resté actif en aidant à recruter des Afro-Américains pour l’essai de prévention, en partie grâce à des visites dans les églises locales. Smith garde l’esprit vif en tant qu’arbitre de matchs de softball, qui ont « beaucoup de règles », dit-il. Les deux se réconfortent dans le fait que s’ils présentent des signes de déficience cognitive, éventuellement pendant qu’ils reçoivent un placebo, ils peuvent choisir de recevoir du lécanemab. « C’est ce qui est important pour moi, que vous ayez le choix de recevoir le médicament », dit Smith.

Quant à moi, je me suis inscrit au même essai, mais j’ai appris que je n’avais pas assez d’amyloïde pour m’inscrire. Donc, comme beaucoup d’autres APOE4 – il existe un forum en ligne (APOE4.info) où ils se réunissent – ​​je parcours maintenant le Web à la recherche de nouvelles recherches sur la variante, je m’essaie à prendre des suppléments comme la choline et les oméga-3, et je réfléchis à suivre mes résultats aux tests cognitifs en ligne. J’espère que le déclin éventuel sera suffisamment lent pour que je puisse aider mes deux filles, qui, selon 23andMe, ne sont pas porteuses du gène APOE4, à faire des projets pour moi.

Et j’essaie de me rappeler ce que les experts m’ont dit : de nombreuses personnes porteuses d’un seul gène APOE4 ne développeront pas de problèmes cognitifs, et même certaines personnes porteuses de deux copies ne développeront pas de démence à 90 ans. « Il faut comprendre que le fait d’être porteur n’est pas un diagnostic », explique Goldie Smith Byrd, chercheuse sur la maladie d’Alzheimer à la Wake Forest University School of Medicine, qui a fondé un centre de recherche en santé communautaire qui soutient les Noirs américains atteints de la maladie d’Alzheimer dans leur famille. Ses mots résonnent en moi : « Mettez de l’ordre dans vos affaires, essayez d’être en aussi bonne santé que possible. Et essayez de ne pas trop vous stresser à ce sujet. »

 


 

Avec plusieurs biomarqueurs (Note 1) de la maladie d'Alzheimer disponibles dans les fluides biologiques, la recherche d'homologues dans la maladie de Parkinson (MP) et la démence à corps de Lewy (DCL) est maintenant lancée. Quatre nouveaux articles, publiés en août et septembre 2023, présentent deux candidats : la DOPA décarboxylase (DDC), l'enzyme qui convertit la lévodopa en dopamine, et les altérations de l'ADN mitochondrial (oxydations, mutations, délétions).

dopa dopamine 2Dans Nature Communications du 13 septembre, des chercheurs dirigés par Charlotte Teunissen des Medical Centers de l'Université d'Amsterdam (Ref.1), ont rapporté que des niveaux élevés de DDC dans le liquide céphalo-rachidien (Cerebrospinal Fluid ou CSF) distinguaient les personnes atteintes de DCL des témoins. Per Svenningsson, du Karolinska Institutet, à Stockholm, a trouvé la même chose dans la MP, comme indiqué dans le numéro du 4 septembre de Translational Neurodegeneration (Ref.2). Il en a été de même pour Oskar Hansson, de l'Université de Lund, en Suède, pour la DCL et pour la MP. Dans Nature Aging du 18 septembre, son groupe a également rapporté que la DDC était présente dans le sang des personnes atteintes de ces maladies et que la DDC dans le CSF permettait de prédire une progression dans les trois ans chez les personnes atteintes de DCL ou de MP, encore au stade préclinique, c’est à dire avant que les premiers symptômes n’apparaissent (Ref.3).

Des scientifiques dirigés par Laurie Sanders, de la faculté de médecine de l'université Duke, à Durham, en Caroline du Nord, ont mesuré les dommages causés à l'ADN mitochondrial (Note 2) dans les cellules sanguines. Dans le Science, Translational Medicine du 30 août, ils ont rapporté que les cellules sanguines des personnes atteintes de MP et des porteurs non symptomatiques d'une mutation provoquant la MP présentaient plus de dommages à l'ADN mitochondrial que les témoins (Ref.4).

« Un biomarqueur sanguin est absolument nécessaire pour les synucléinopathies, car les modalités actuelles impliquent soit des procédures lourdes, par exemple une ponction lombaire pour le CSF ou une biopsie cutanée, soit une imagerie cérébrale coûteuse », a écrit Lawren VandeVrede, Université de Californie à San Francisco.

Les options de diagnostic actuelles de la MP incluent des méthodes spectroscopiques très spécifiques et coûteuses pour détecter l’activité de transport de la dopamine dans les neurones dopaminergiques, ou des techniques d’amplification des agrégats d’α-synucléine dans le CSF. Hansson a utilisé un test d'amplification d’agrégats de l'α-synucléine dans le CSF par comparaison avec le CSF d’individus contrôles. Ces agrégats, tout comme dans d’autres neurodégénérescences, sont dus à une phosphorylation inadéquate et à un mauvais reploiement et de la protéine. C’est le cas par exemple pour le prion de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, pour laquelle un test d’amplification des prions, appelé RT-QuIC (pour Real-time quaking-induced conversion) avait été mis au point dans le CSF. Un test similaire a été adapté aux agrégats d’α-synucléine (Ref.5), et a été utilisé par l’équipe d’Oskar Hansson.

RT QuIC
RT-QuIC

Dans l’étude d’Amsterdam, les échantillons de CSF proviennent de 109 personnes atteintes de DCL, 235 atteintes de la maladie d'Alzheimer et 190 témoins provenant de trois groupes de patients d’Amsterdam et de Pennsylvanie. La plupart des participants avaient entre 50 et 60 ans ; 65 pour cent étaient des hommes.

La protéine la plus positivement régulée (augmentation de son taux) dans la DCL était la DDC, distinguant les patients des témoins avec à la fois une sensibilité et une spécificité hautement significative. La DDC dans le CSF a également séparé la DCL de la maladie d'Alzheimer de façon presqu’aussi spécifique, ce qui suggère qu'il s’agit bien d'un marqueur spécifique des maladies à corps de Lewy.

La DDC est également en tête de la liste dans l’étude protéomique (Note 3) du CSF de Svenningsson dans la maladie de Parkinson. Le CSF de 117 témoins, 132 personnes atteintes de MP et 67 atteintes de troubles parkinsoniens atypiques, dont 24 avec une atrophie multisystémique (MSA), 21 avec une paralysie supranucléaire progressive (PSP) et 22 avec un syndrome corticobasal (CBS). Les échantillons provenaient de deux groupes de patients de Suède et de Californie.

Parmi les six principales protéines du CSF régulées positivement dans la MP, la principale était de loin la DDC, qui montrait le plus grand potentiel diagnostique, distinguant les personnes atteintes de MP des témoins de façon très sélective. La DDC était également élevé dans le CSF provenant de personnes atteintes de troubles parkinsoniens atypiques, ce qui laisse entendre qu'il pourrait s'agir d'un biomarqueur plus large de maladies neurodégénératives avec déficits en dopamine.

Les conclusions de Hansson concordent avec cette idée. Dans leur étude plus vaste, ils ont analysé les protéines du CSF de 682 participants suédois : 347 témoins, 33 personnes atteintes de DCL, 48 atteintes de MP, 40 atteintes de troubles parkinsoniens atypiques, 172 personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, 23 atteintes démences frontotemporales et 19 atteintes de démence vasculaire.

Encore une fois, la DDC était la protéine du CSF la plus régulée positivement dans la DCL et d'autres troubles parkinsoniens. L’étude a identifié la DCL et la MP, regroupées sous le nom de maladies à corps de Lewy (MCL), par rapport aux témoins avec une précision de 89%, et les troubles de Parkinson atypiques avec une précision de 79% par rapport aux témoins. La DDC dans le CSF a également distingué les MCL des trois maladies neurodégénératives non parkinsoniennes avec une précision de 83%. Les auteurs soupçonnent que les neurones pourraient produire davantage de DDC pour compenser les faibles niveaux de dopamine, d'où la régulation positive du marqueur uniquement dans les troubles parkinsoniens.

Hansson était initialement sceptique quant au fait que la DDC soit si élevée dans les MCL. Il pensait que cela pourrait être lié au traitement. Les personnes atteintes de MP prennent généralement de la lévodopa et un inhibiteur de la DDC restant dans la circulation périphérique (incapable de pénétrer dans le cerveau), permettant à la majeure partie du précurseur de la dopamine de pénétrer dans le cerveau. Cet afflux de lévodopa pourrait-il augmenter la production de DDC ? Même si la protéine était en effet plus élevée chez les participants souffrant de maladies à corps de Lewy, prenant des médicaments que chez ceux qui n'en prenaient pas encore, la DDC restait la protéine du CSF la plus régulée positivement chez les patients non traités, ce qui signifie que la maladie était à l'origine du changement de ce biomarqueur. De même, les équipes de Svenningsson et Teunissen ont constaté un taux élevé de DDC dans le CSF chez les participants atteints de la maladie de Parkinson mais non traités, et des taux encore plus élevés chez ceux prenant de la lévodopa et un inhibiteur de la DDC périphérique.

Surtout, la DDC a permis de détecter les maladies à corps de Lewy (MCL) précliniques, c’est à dire quand aucun symptôme n’est encore détectable, et prédire la progression lorsqu’il est associé à un test d’amplification des agrégats d’α-synucléine par RT-QuIC. Parmi les 347 contrôles, 35 ont été testés positifs pour les agrégats d'α-synucléine, ce que Hansson et ses collègues ont interprété comme signifiant une MCL préclinique. La DDC était déjà élevé dans leur CSF, ce qui les distinguait des témoins. Sur trois ans, 12 d’entre eux ont développé des symptômes, et ceux présentant les niveaux de DDC dans le CSF les plus élevés étaient 3,7 fois plus susceptibles de progresser que leurs homologues ayant de faibles niveaux de DDC. « Si une personne souffre à la fois d'une pathologie à corps de Lewy et d'un trouble du système dopaminergique, elle est sur le point de développer des symptômes », a conclu Hansson.

Des niveaux élevés de DDC dans le CSF étaient également corrélés à une moins bonne cognition et à une moins bonne mémoire dans les cas de MCL, tels que mesurés par les tests pré cliniques de détection de maladie d’Alzheimer (mPACC) et l’échelle de sévérité de la partie cognitive de la maladie d’Alzheimer (ADAS-Cog).

Hansson envisage de combiner les tests de la DDC et de l’α-synucléine dans le CSF en clinique. Une personne testée positive pour les deux souffrirait probablement de MCL (MP et DCL), tandis qu'une personne avec seulement une DDC élevée souffrirait d'un trouble parkinsonien atypique, car les corps de Lewy ne se développent pas au cours de ces maladies (plus exactement, la MSA est aussi une synucléinopathie, tandis que les PSP et CBS sont des taupathies).

Un biomarqueur sanguin serait préférable pour un usage clinique. Et la DDC dans le plasma ? Cette recherche ne fait que commencer, mais jusqu'à présent, parmi 33 personnes atteintes de MCL, 56 atteintes de troubles atypiques de Parkinson et 54 témoins, ayant beaucoup de DDC plasmatique, ont identifié la MCL avec une précision de 92% et les troubles parkinsoniens atypiques avec une précision de 85%. « Nous avons besoin de biomarqueurs sanguins pour ne pas dépendre du CSF pour les dépistages à grande échelle à l'avenir », a écrit Brit Mollenhauer, du centre médical universitaire de Göttingen, en Allemagne.

Existe-t-il d’autres facteurs dans le sang qui pourraient signaler la MP ? Sanders et ses collègues ont emprunté une voie différente, en analysant les dommages causés à l'ADN mitochondrial (ADNmt), plutôt qu'aux protéines, dans les cellules sanguines. Les dommages mitochondriaux sont importants dans la maladie de Parkinson, avec une élimination défectueuse de ces organites anciens ou altérés et une accumulation ultérieure de leurs morceaux altérés à l'origine de la maladie ( revue de Malpartida et al., 2021 (Ref.6) et très récemment : E. Tresse et al., Nature, 2 octobre 2023 (Ref.7) ).

Pour mesurer les dommages causés à l'ADN mitochondrial, le laboratoire de Laurie Sanders de l'Université de Dundee au Royaume-Uni ont développé un test basé sur la PCR qui quantifie la quantité d'ADNmt présente dans les cellules. L’hypothèse est que plus le test détecte d’ADNmt intact, moins il a été endommagé ou détruit. Ils ont analysé les cellules mononucléaires du sang périphérique dans des échantillons provenant de 22 témoins, 58 personnes atteintes de MP, dont 28 porteuses de la mutation G2019S du gène LRRK2 provoquant la MP, et 17 porteurs non symptomatiques. Sanders avait déjà lié cette variante de LRRK2 aux dommages de l'ADNmt dans les neurones humains en culture ( Sanders et al., 2014 (Ref.8) ).

Par rapport aux cellules sanguines des témoins, les cellules des patients parkinsoniens présentaient 50 % en plus de dommages à l’ADNmt. Il en a été de même pour les porteurs asymptomatiques de LRRK2, indiquant donc des dommages mitochondriaux très au début de la pathogenèse. « Il reste à déterminer si ces porteurs de mutations LRRK2 non symptomatiques développent une maladie de Parkinson clinique », écrivent les auteurs.
La quantité d’altérations du génome mitochondrial distinguait la MP, avec ou sans la mutation LRRK2, des témoins, affichant des sélectivités élevées et similaires selon la présence ou l’absence de la mutation. Le marqueur était toutefois moins précis chez les porteurs asymptomatiques, la spécificité passant de 85% à 74%.

Au final, la concentration de DDC dans le CSF ou le plasma et les dommages à l’ADNmt dans les cellules sanguines offrent deux marqueurs potentiels de la MP et d’autres troubles neurodégénératifs dopaminergiques.

 


Références

  1. Marta del Campo et al., Nat Commun 14, 5635 (2023)  
  2. Wojciech Paslawski et al., Translational Neurodegeneration 12, 42 (2023)  
  3. Joana B. Pereira et al., Nature Aging, Letter, 18 September 2023  
  4. Rui Qi et al., Science Translational Medecine, 15, 30 August 2023 
  5. Connor Bargar et al., Acta Neuropathol Commun 9, 62 (2021) 
  6. Ana Belen Malpartida et al., Trends in Biochemical Sciences, 46, 329 (2021)  
  7. Emilie Tresse et al., Mol Psychiatry (2 October 2023)  
  8. Laurie Sanders et al., Neurobiology of Disease 62, 381-386 (2014) 

 


Notes

  1. Un biomarqueur est une molécule circulant dans un fluide biologique (sang, liquide céphalorachidien, urine ...) ou même dans certains tissus, qui suggèrent l'existence d'une pathologie. Cette molécule n'est pas nécessairement ni la cause, ni la conséquence de la pathologie. Elle peut tout aussi bien apparaître dans un processus biochimique qui se produit en parallèle avec la pathologie. Plutôt qu'une molécule, le biomarqueur peut également être une altération d'un paramètre physiologique (modification de certains paramètres sanguins, comme la formule leucocytaire, modification du nombre de plaquettes ..., modification de la tension artérielle ...). A contrario, des biomarqueurs sont aussi recherchés pour rapidement mettre en évidence l'efficacité d'un traitement visant une pathologie particulière. Il est de moins en moins rare de mesurer la variation de certains biomarqueurs dès les études cliniques de Phase I d'un nouveau traitement, alors que cette phase ne vise pas à démontrer l'efficacité (analysée dans les études de Phase II et de Phase III), mais la tolérance au traitement, l'établissement d'effets secondaires éventuels, et l'étude de la pharmacocinétique du médicament étudié, c'est à dire ses concentrations dans le sang en fonction du temps suivant son administration. L'ajout de biomarqueurs à ce stade permet déjà d'augmenter la confiance que l'on peut avoir quand à l'efficacité qui pourra être observée en Phase II, et surtout de pouvoir mieux ajuster les doses à utiliser en Phase II. 
  2. Nos cellules de contiennent pas que de l'ADN dans leur noyau, lequel forme les chromosomes et contient les gènes formant notre patrimoine génétique, et contenant l'information nécessaire à la synthèse de nos protéines. Les mitochondries, qui sont des organelles présentes dans le cytoplasme des cellules, et dont le rôle est de produire l'énergie nécessaire au fonctionnement de la cellule, contiennent aussi leur propre ADN, bien que de taille nettement plus petite que l'ADN nucléaire. Celui-ci contient les gènes nécessaires au fonctionnement propre de la mitochondrie, et ne se recombine jamais avec l'ADN nucléaire. Chose très particulière : alors que l'ADN nucléaire provient pour moitié du père et pour moitié de la mère, l'ADN mitochondrial (ADNmt) est uniquement transmis par la mère. Il joue donc un grand rôle dans les études de populations, de migrations et de l'évolution de l'homme. 
  3. Tout comme la génomique est une approche analytique moderne permettant d'analyser un grand nombre de gènes en parallèle pour savoir lesquels voent leur expression sur-régulée (augmentée) ou sous-régulée (diminuée), en étudiant la quantité d'ARN messager produits par tous ces gènes, la protéomique est également une approche analytique en continuel développement, qui permet d'analyser la sur- ou la sous-régulation de protéines, en particulier les enzymes et les récepteurs membranaires. Dans bien des cas, elle offre un avantage sur la génomique, en ce sens qu'un même ARN messager peut être traduit en plusieurs protéines différentes, ce que la génomique ne peut distinguer. Longtemps la protéomique était une approche analytique lente et complexe, faisant principalement appel à la spectrométrie de masse. De nombreux progrès ont vu le jour au cours de ces dernières années, notamment grâce à l'emploi d'anticorps spécifiques de protéines. Ces anticorps sont reliés à une chaîne d'ADN qui peut être amplifiée par PCR. On en est aujourd'hui à détecter très spécifiquement une protéine grâce à deux anticorps différents, dont les chaînes d'ADN comportent deux morceaux d'ADN complémentaires qui peuvent s'aparier (de la même façon que les deux fibres d'ADN de la double hélice), et seulement en cas d'apariement, c'est à dire, lorsque les deux anticorps ont reconnus la même protéine, la réaction d'amplification par PCR se met en route. Le Proximity Extension Assay d'Olink en est un exemple, et a été utilisé par les trois équipes de Teunissen, Svenningsson et Hansson 

 


 

 

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Un médecin examine des scanners cérébraux
GETTY IMAGES
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Les chercheurs pensent que de nouvelles découvertes sur une forme de suicide cellulaire ouvrent de nouvelles pistes pour traiter la maladie d'Alzheimer

Par James Gallagher, Correspondant santé et sciences, BBC


Des scientifiques britanniques et belges pensent avoir compris comment les cellules cérébrales meurent dans la maladie d'Alzheimer.

C’est un mystère et une source de débat scientifique depuis des décennies. Mais l'équipe, publiant dans la revue Science, relie les protéines anormales qui s'accumulent dans le cerveau à la « nécroptose », une forme de suicide cellulaire.

Les résultats ont été décrits comme « cool » et « excitants », car ils donnent de nouvelles idées pour traiter la maladie.

Des indices tant attendus

C'est la perte de cellules cérébrales, appelées neurones, qui entraîne les symptômes de la maladie d'Alzheimer, notamment la perte de mémoire.

Et si vous regardez à l’intérieur du cerveau des personnes atteintes de la maladie, vous constaterez l’accumulation de protéines anormales appelées amyloïde et tau.

Mais les scientifiques n’ont pas réussi à faire le lien entre ces caractéristiques clés de la maladie.

C'est ce que pensent actuellement les chercheurs du Dementia Research Institute au Royaume-Uni, de l'University College London et de la KULeuven en Belgique.

Ils disent qu’une amyloïde anormale commence à s’accumuler dans les espaces entre les neurones, conduisant à une inflammation cérébrale qui perturbe les neurones, et que cela engendre des changements de leur chimie interne.

Des enchevêtrements de tau apparaissent et les cellules cérébrales commencent à produire une molécule spécifique (appelée MEG3) qui déclenche la mort par nécroptose. La nécroptose est l’une des méthodes que notre corps utilise normalement pour purger les cellules indésirables au fur et à mesure de la production de nouvelles cellules.

Les cellules cérébrales ont survécu lorsque l’équipe a pu bloquer MEG3.
"Il s'agit d'une découverte très importante et intéressante", a déclaré à la BBC le professeur Bart De Strooper, du Dementia Research Institute du Royaume-Uni.

"Pour la première fois, nous comprenons comment et pourquoi les neurones meurent dans la maladie d'Alzheimer. Il y a eu beaucoup de spéculations depuis 30 à 40 ans, mais personne n'a été en mesure d'en identifier les mécanismes.
"Cela fournit vraiment des preuves solides qu'il s'agit de cette voie spécifique du suicide cellulaire."

Les réponses sont venues d’expériences où des cellules cérébrales humaines ont été transplantées dans le cerveau de souris génétiquement modifiées. Les animaux ont été programmés pour produire de grandes quantités d’amyloïde anormale.

Le développement de médicaments qui éliminent l'amyloïde du cerveau a récemment connu un succès (quoiqu'assez relatif*) et constitue le premier traitement permettant de ralentir la destruction des cellules cérébrales.

Le professeur De Strooper affirme que la découverte selon laquelle le blocage de la molécule MEG3 peut retarder la mort des cellules cérébrales pourrait conduire à « une toute nouvelle ligne de développement de médicaments ».
Cependant, cela prendra des années de recherche.

Le professeur Tara Spires-Jones, de l'Université d'Édimbourg et présidente de la British Neuroscience Association, m'a dit « c'est un article intéressant ». Elle a déclaré que cela « comble l'une des lacunes fondamentales de la recherche sur la maladie d'Alzheimer… ce sont des résultats fascinants et seront importants pour l'avenir du domaine ». Cependant, elle a souligné que « de nombreuses étapes sont nécessaires » avant de savoir si ce médicament pourrait être exploité comme traitement efficace contre la maladie d'Alzheimer.

Le Dr Susan Kohlhaas, d'Alzheimer's Research UK, a déclaré que les résultats étaient « excitants », mais qu'ils n'en étaient qu'à leurs débuts.
« Cette découverte est importante car elle met en lumière de nouveaux mécanismes de mort cellulaire dans la maladie d'Alzheimer que nous ne comprenions pas auparavant et qui pourrait ouvrir la voie à de nouveaux traitements visant à ralentir, voire arrêter la progression de la maladie à l'avenir. »

 


 

Ces résultats ont été publiés dans le journal Science du 14 septembre*:
Balusu et al., Science 381, 11761182 (2023)

 


 * Notes personnelles


 

Une revue dans Cells, 2022, 11, 1261.
par Laura Smith1,2 et Anthony H. V. Schapira1,2

1. Département de neurosciences cliniques et du mouvement, Institut de neurologie, University College London, Londres NW3 2PF, Royaume-Uni ; This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.
2. Réseau de recherche collaborative Aligning Science Across Parkinson’s (ASAP), Chevy Chase, MD 20815, États-Unis

Le gène GBA code pour l'enzyme lysosomale glucocérébrosidase (GCase), qui maintient l'homéostasie des glycosphingolipides. Environ 5 à 15 % des patients parkinsoniens présentent des mutations du gène GBA, ce qui en fait numériquement le facteur de risque génétique le plus important de la maladie de Parkinson (MP). Cliniquement, la MP associée à la GBA est identique à la MP sporadique, mis à part un âge d'apparition plus précoce, des troubles cognitifs plus fréquents et une progression plus rapide. Les mutations de GBA peuvent être associées à des mécanismes de perte et de gain de fonction. Une caractéristique clé de la MP est la présence d’inclusions protéiques intraneuronales appelées corps de Lewy, constituées principalement d’alpha-synucléine. Les mutations du gène GBA peuvent entraîner une perte de l'activité de la GCase et un dysfonctionnement lysosomal, ce qui peut altérer le métabolisme de l'alpha-synucléine. Les modèles de déficit en GCase démontrent un dysfonctionnement de la voie autophagique-lysosomale et une accumulation ultérieure d'alpha-synucléine. Ce dysfonctionnement peut également conduire à un métabolisme lipidique aberrant, notamment à l’accumulation de glycosphingolipides, de glucosylcéramide et de glucosylsphingosine. Certaines mutations provoquent un mauvais repliement de la GCase et sa rétention dans le réticulum endoplasmique, activant les réponses au stress, notamment la réponse protéique non repliée, qui peut contribuer à la neurodégénérescence. En plus de ces mécanismes, un déficit en GCase a également été associé à un dysfonctionnement mitochondrial et à une neuroinflammation, impliqués dans la pathogenèse de la MP. Cette revue discute des voies associées à la GBA-MP et met en évidence les traitements potentiels qui peuvent agir pour cibler la GCase et prévenir la neurodégénérescence.

cells 11 01261 g002

 


 

BRAIN 2022: 145; 1757–1762

Karri Kaivola,1,2,† Zalak Shah,2,† Ruth Chia,3 Consortium international de génomique LBD et Sonja W. Scholz2,4
†Ces auteurs ont participé à ce travail à part égale.

  
Le locus APOE est fortement associé au risque de développer la maladie d’Alzheimer et la démence à corps de Lewy. En particulier, le rôle de l’allèle APOE e4 en tant que moteur putatif de la pathologie de l’alpha-synucléine fait l’objet d’un débat intense.
Ici, nous avons effectué une évaluation complète de 2 466 cas de démence à corps de Lewy par rapport à 2 928 témoins âgés neurologiquement sains. En utilisant une approche d’étude d’association pangénomique stratifiée APOE, nous avons constaté que le GBA est associé au risque de démence à corps de Lewy chez les patients sans APOE e4 (P = 5,65 × 10–8, OR = 3,21, IC à 95 % = 2,11). –4,88), mais pas avec la démence à corps de Lewy avec APOE e4 (P = 0,034, OR = 1,87, 95 %, IC 95 % = 1,05–3,37). Nous avons ensuite divisé 495 cas de démence à corps de Lewy examinés neuropathologiquement en trois groupes en fonction de l'étendue de la copathologie concomitante de la maladie d'Alzheimer : démence pure à corps de Lewy (n = 88), démence à corps de Lewy avec copathologie intermédiaire de la maladie d'Alzheimer (n = 66) et démence à corps de Lewy avec copathologie élevée de la maladie d'Alzheimer (n = 341). Dans chaque groupe, nous avons testé l'association de l'APOE e4 contre les 2928 contrôles neurologiquement sains.
Notre examen a révélé que l'APOE e4 était associée à la démence à corps de Lewy + maladie d'Alzheimer (P = 1,29 ------ 10–32, OR = 4,25, IC 95 % = 3,35–5,39) et à la démence à corps de Lewy + maladie d'Alzheimer intermédiaire (P = 0,0011). , OR = 2,31, IC 95 % = 1,40–3,83), mais pas dans les démences pures à corps de Lewy (P = 0,31, OR = 0,75, IC 95 % = 0,43–1,30).
En conclusion, bien que des données cliniques approfondies ne soient pas disponibles pour ces échantillons, nos résultats ne soutiennent pas l'idée selon laquelle APOE e4 est un moteur indépendant de la pathologie de l'alpha-synucléine dans la démence pure à corps de Lewy, mais impliquent plutôt la GBA comme principal gène de risque du sous-groupe des démences pures à corps de Lewy.

Diapositive1

1 Département de neurologie et programme d'immunologie translationnelle, hôpital universitaire et Université d'Helsinki, Helsinki, Finlande
2 Unité de recherche sur les maladies neurodégénératives, National Institute of Neurological Disorders and Stroke, Bethesda, MD 20892, États-Unis
3 Laboratoire de neurogénétique, National Institute on Aging, Bethesda, MD 20892, États-Unis
4 Département de neurologie, École de médecine de l'Université Johns Hopkins, Baltimore, MD 21287, États-Unis

 


 

IDK Paginas van La demence oubliee Comprendre la maladie a corps de Lewy

La maladie à corps de Lewy (MCL) est encore mal connue et mal diagnostiquée. Elle n'est reconnue comme étant une démence distincte de la maladie de Parkinson et de la maladie d'Alzheimer que depuis les années 1990, et beaucoup de praticiens n'en discernent encore que tardivement les symptomes. Beaucoup de malades sont d'abord diagnostiqués comme ayant la maladie de Parkinson, à cause des syndromes que ces deux maladies partagent, surtout au début, tels que rigidité, posture courbée, difficulté à se mouvoir. Il se met pourtant vite en place des symptomes évocateurs, tels que les halucinations visuelles ou non-visuelles, des idées délirantes, des chutes répétées, des troubles du sommeil paradoxal (phases REM du sommeil) et assez rapidement aussi, des problèmes de mémoire, bien qu'en général, nettement moins prononcés que dans la maladie d'Alzheimer. D'ailleurs, les examens post-mortem ne montrent pas de perte importante de masse corticale, comme c'est le cas dans la maladie d'Alzheimer.

Tout comme dans la maladie de Parkinson, cette maladie se manifeste par l'accumulation de masses fibreuses dans les neurones, appelées corps de Lewy, du nom du médecin Friedrich Lewy qui les a identifié pour la première fois en 1912. Ces masses sont des protéines appelées alpha-synucléines, jouant un rôle fonctionnel au niveau de la synapse des neurones dopaminergiques en permettant la liberation de la dopamine, un des neurotransmetteurs principaux. Ces corps de Lewy se forment quand l'alpha-synucléine phosphorylée l'est de façon anormale et forme des agrégats, non seulement entre alpha-synucléines, mais aussi avec d'autres protéines telles que l'ubiquitine. L'alpha-synucléine ne peut plus dès lors remplir son rôle, et il y a un déficit de transfert de l'information de neurone à neurone dans le système dopaminergique. Dans la maladie d'Alzheimer, c'est principalement le système cholinergique qui est perturné. L'acétyl-choline ne remplit plus correctement sa fonction. Or l'acétyl-choline est impliquée dans les processus d'apprentissage et de mémorisation.

Dans les maladies de Parkinson et à corps de Lewy, ce sont les alpha-synucléines qui s'accumulent et se répandent dans les neurones, rendant ainsi dysfonctionnelle toute une zone du cerveau. La grande différence observée entre maladie de Parkinson et maladie à corps de Lewy, est que l'expansion des corps de Lewy se limite au tronc cérébral dans la maladie de Parkinson, en particulier à la substance noire, alors que dans la maladie à corps de Lewy, ceux-ci se répandent non seulement dans le tronc cérébral, mais aussi dans l'ensemble du cortex, rendant ainsi cette pathologie particulièrement invalidante et d'évolution rapide. S'il est souvent écrit que l'espérance de vie, après son diagnostic varie de 2 à 20 ans, les durées de vie longues sont exceptionneles, et l'espérance de vie médiane se situe vers 3-4 ans après le diagnostic.

Le Parkinson, la MCL et l'Alzheimer sont des maladies neurodégénératives dont l'évolution est inexorable, et aucun traitement n'existe à ce stade permettant le blocage de l'évolution ou la guérison. Pour la maladie de Parkinson, il existe des traitements permettant d'en ralentir l'évolution de manière substantielle. Ce n'est pas le cas pour la MCL ou l'Alzheimer. Tout au plus peut-on en atténuer les symptomes. Mais dans le cas de la MCL, il convient à la fois de traiter les symptomes extrapyramidaux (symptomes parkinsoniens) et cognitifs. Le traitement n'est pas aisé, car les médicaments traitant les symptomes parkinsoniens ont tendance à augmenter les hallucinations et les troubles cognitifs, tandis que les neuroleptiques augmentent les risques de confusion et de chutes.

Donc, non seulement, il n'existe pas, aujourd'hui, de traitement efficace, mais en outre, les causes et les mécanismes engendrant la maladie à corps de Lewy (idem pour le Parkinson et l'Alzheimer) ne sont pas clairement identifiés. Loin s'en faut. Il est très possible que les causes soient multifactorielles, avec des composantes à la fois génétiques et environnementales. Ce qui paraît certain, c'est que l'hérédité joue ici un rôle très minime voire inexistant. Il sera pourtant critique de comprendre les risques génétiques et environnementaux liés à la maladie, pour pouvoir comprendre comment cette pathologie s'installe, et, par voie de conséquence, pour comprendre quels sont les mécanismes qui doivent être bloqués pour freiner, bloquer ou faire régresser la maladie grâce à de nouveaux traitements.

Les articles développés ici traitent des génotypes qui apparaissent comme étant des facteurs de risque, pour la MCL mais aussi pour la maladie d'Alzheimer. Car certains allèles spécifiques de certains gènes pourraient constituer des facteurs de risque communs aux deux pathologies. Rien n'est moins sûr d'ailleurs, et les articles ci-dessous essayent d'y voir plus clair.

Tout d'abord, qu'est ce qu'un allèle d'un gène ? 

Au cours de l'évolution, les gènes constitutifs de l'ADN ont subit des mutations. Certaines étaient tellement léthales que les lignées d'individus les portant ont disparu spontanément. Certaines sont léthales mais sont rares. De plus, elles sont souvent récessives, c'est à dire qu'il faut que les deux gènes d'une paire de chromosomes soient atteints par la mutation pour que la maladie soit exprimée. Il faut donc qu'à la fois le père et la mère soient porteurs de la mutation et l'aient transmise à leurs enfants. Dans des cas très rares, la mutation léthale est autosomale dominante. C'est à dire qu'il suffit qu'un seul gène de la paire soit atteint pour que la maladie s'installe. Dans ce cas, si un des parents est porteur, il y a 50% de chance que leur enfant soit affecté. Ceci implique évidemment que le parent reste en vie jusqu'au moment d'être en mesure de procréer. C'est le cas de la terrible maladie d'Huntington ou chorée.

Ces mutations sont pathologiques, soit parce qu'elles rendent l'expression du gène en sa protéine correspondante inopérante, soit au contraire parce qu'elles surexpriment une protéine. Mais dans la très grande majorité des cas, les mutations de gènes n'engendrent aucune modification de fonctionnalité. Dès lors, ces mutations sont persistantes, et donc, dans l'évolution de la population humaine, presque tous les gènes sont présents sous des formes variables selon les individus, sans que cela ne les affecte. Ces variantes fonctionnelles de gènes sont appelées « allèles » d'un même gène.

Certains allèles toutefois, même si codant pour une protéine parfaitement opérationnelle, peuvent y engendrer certaines modifications qui peuvent perturber leur fonctionnement, en particulier si l'environnement cellulaire change. Le vieillissement est par nature un phénomène multifactoriel qui modifie l'environnement cellulaire. Et certaines protéines produites par des allèles particuliers, peuvent alors souffrir des modifications de l'environnement cellulaire et se mettre à dysfonctionner. Ceci n'a aucune incidence sur l'évolution de l'espèce, puisque ces modifications ont lieu bien après la période de la vie où l'individu est en âge de procréer.

Risques génétiques

Dans les articles qui vont suivre, les risques génétiques connus qui favorisent la maladie d'Alzheimer et la maladie à corps de Lewy sont étudiés. On y parle essentiellement de deux gènes et de leurs allèles. Ainsi, l'apolipoprotéine E est un transporteur de lipoprotéines présent dans les membranes cellulaires et a pour but de moduler la quantité de ces lipoproteines dans les membranes (à participer à leur «homeostase») en perticipant à leur catabolisme, c'est à dire le métabolisme donnant lieu à leur dégradation, ce qui est un phénomène tout à fait naturel dans un processus de modulation. Ceci est notamment le cas au niveau de la synapse des neurones, entre axone d'un neurone et dendrite d'un neurone en aval. Le gène codant pour l'apolipoprotéine E est appelé ApoE. Il en existe trois allèles. Les allèles E2, E3 et E4 (le E tient ici lieu de 𝜺= epsilon, qui est la nomenclature exacte, mais que de nombreux auteurs remplcent par E par facilité d'écriture). L'allèle E2 est le moins fréquent et représente de l'ordre de 7 à 8% dans la population européenne. L'allèle E3 est le plus fréquent et représente entre 75 et 80%. L'allèle E4 est intermédiaire, il représente de l'ordre de 15%. C'est cet allèle E4 qui constitue un risque accru de développer la maladie d'Alzheimer. Il augmenterait le risque de 3x sous sa forme hétérozygote (un seul des chromosomes porte E4, l'autre porte E3 ou E2) et de 12x dans sa forme homozygote (les deux chromosomes portent le gène ApoE4). On observe un plus grand risque de formations de plaques amyloïdes extraneuronales chez les porteurs de l'allèle E4, mais les mécanismes sous-jacents ne sont pas encore compris, et il est très probable que la maladie d'Alzheimer soit multifactorielle, mêlant des facteurs génétiques et environnementaux.

Il a aussi été proposé que l'allèle ApoE4 augmenterait le risque de développer la MCL, mais ceci reste encore fortement débattu dans la mesure où, dans bien des cas, on observe une MCL et un Alzheimer concomitant chez les sujets très agés. Les articles suivants essaient d'y voir plus clair en ce domaine. Par contre le facteur de risque génétique le plus important connu à ce jour dans la maladie de Parkinson est une mutation du gène GBA qui codent pour l'enzyme glucocerebrosidase (GCase) présent dans les lysosomes, ces organelles dont la fonction est de dégrader des produits cellulaires avant leur expulsion de la cellule. Cette enzyme participe à l'homéostase des glycosphingolipides. Cette mutation est présente chez environ 10% des patients souffrant de la maladie de Parkinson. Ce dysfonctionnement des GCases entraine un dysfonctionnement des lysosomes, et par voie de conséquence, l'alpha-synucléine, une protéine présynaptique interagissant avec la protéine tau, voit sa dégradation altérée au niveau des lysosomes, elle est expulsée intacte du neurone et va s'accumuler de proche en proche dans les neurones voisins, y formant des dépôts qui sont ces fameux corps de Lewy. Cette mutation de GBA est bien sûr aussi un facteur de risque dans la MCL.

Tout comme il n'est pas encore clair que les plaques amyloides sont une cause de la maladie d'Alzheimer, et pas une conséquence, il n'est pas clair non plus que les corps de Lewy sont la cause des maladies de Parkinson et de la MCL, et pas une conséquence. En particulier, dans la mutation de GBA, on observe que des GCases restent bloquées au niveau du reticulum endoplasmique et ne migrent pas vers les lysosomes. Ceci pourrait aussi être une explication à la pathologie, qui n'est pas à exclure.

Description des symptomes et conseils aux accompagnants,
par Philippe de Linares, fondateur de l'Association des Aidants et Malades à Corps de Lewy (A2MCL)

 

Article :L’évaluation génétique de la démence à corps de Lewy implique des sous-groupes distincts de maladies

Article :Variantes de GBA et maladie de Parkinson : mécanismes et traitements


 

NATURE NEWS 16 novembre 2022 (Nature 611, 649 (2022))

Voici comment un gène lié à l’Alzheimer ravage le cerveau

Une étude sur des cellules et des souris suggère que la variante APOE4 affecte l'isolation très importante autour des cellules nerveuses.

PAR ELIE DOLGIN pour Nature

 

Neurone et complexe protéinique inhabituel

Un neurone (en vert) d'une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer contient un complex protéinique inhabituel (en rose) encerclant le noyau (en jaune)


Aucune variante génétique n'est un facteur de risque plus important pour la maladie d'Alzheimer que celle appelée APOE4. Mais exactement comment ce gène stimule les lésions cérébrales est un mystère.

Une étude(1) a maintenant établi un lien entre APOE4 et un traitement défectueux du cholestérol dans le cerveau, ce qui entraîne à son tour des défauts dans les gaines isolantes qui entourent les fibres nerveuses et facilitent leur activité électrique. Les résultats préliminaires suggèrent que ces changements pourraient entraîner des déficits de mémoire et d'apprentissage. Et les travaux suggèrent que les médicaments qui restaurent le traitement du cholestérol dans le cerveau pourraient traiter la maladie.

"Cela s’accorde avec le fait que le cholestérol doit être au bon endroit", explique Gregory Thatcher, biologiste chimiste à l'Université de l'Arizona à Tucson.

Lipides insipides
L'héritage d'une seule copie d'APOE4 multiplie par trois le risque de développer la maladie d'Alzheimer ; avoir deux copies augmente les chances de 8 à 12 fois. Les interactions entre la protéine codée par APOE4 et les plaques collantes d'amyloïde - une substance liée à la mort des cellules cérébrales - dans le cerveau expliquent en partie la connexion. Mais ces interactions ne constituent pas toute l'histoire.

Comme le neuroscientifique Li-Huei Tsai du Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Cambridge et ses collègues le rapportent aujourd'hui dans Nature, APOE4 déclenche des cellules cérébrales isolantes appelées oligodendrocytes pour accumuler le cholestérol - un type de lipide - dans tous les mauvais endroits.

Cela interfère avec la capacité des cellules à recouvrir les fibres nerveuses d'une enveloppe protectrice constituée d'un matériau riche en lipides appelé myéline. La signalisation électrique dans le cerveau ralentit alors et la cognition en souffre généralement.

L'équipe de Tsai avait précédemment lié les changements lipidiques à des dysfonctionnements dans d'autres types de cellules, y compris certaines qui offrent un soutien structurel aux neurones(2) et d'autres qui fournissent une protection immunitaire pour le cerveau(3). Les dernières découvertes ajoutent les oligodendrocytes et leur fonction essentielle dans la myéline à l’ensemble.

"Il s'agit vraiment de rassembler toutes les pièces", déclare Julia TCW, neuroscientifique à l'Université de Boston dans le Massachusetts.

Embouteillage de cholestérol
En collaboration avec la biologiste informatique du MIT Manolis Kellis, Tsai et ses collègues ont commencé par analyser les modèles d'activité génique dans les tissus du cortex préfrontal - le centre cognitif du cerveau - de 32 personnes décédées qui avaient deux, une ou aucune copie d'APOE4 et différents cas d'Alzheimer .

Lorsque les chercheurs ont examiné les cellules cérébrales affectées par APOE4, ils ont noté des anomalies dans de nombreux systèmes de métabolisation des lipides. Mais les défauts dans la façon dont les oligodendrocytes traitent le cholestérol semblaient « particulièrement graves », dit Tsai.

L'équipe a créé des cultures d'oligodendrocytes humains avec diverses formes du gène APOE. Les cellules avec la variante APOE4, a découvert le groupe, avaient tendance à accumuler du cholestérol à l'intérieur des organites internes. Ils ont expulsé des quantités relativement faibles de cholestérol, ce qui les a rendus moins aptes à former des gaines de myéline.

Les chercheurs ont ensuite traité les cellules porteuses d'APOE4 avec une substance appelée cyclodextrine, qui stimule l'élimination du cholestérol. Cela a aidé à restaurer la formation de myéline. Les chercheurs ont également découvert que chez les souris possédant deux copies d'APOE4, la cyclodextrine semblait éliminer le cholestérol du cerveau, améliorer le flux de cholestérol dans les gaines de myéline et stimuler les performances cognitives des animaux.

Cholesterol buster
Les découvertes chez la souris concordent avec l'expérience d'une personne atteinte de la maladie d'Alzheimer qui a pris une formulation similaire de cyclodextrine dans le cadre d'un programme spécial d'accès aux médicaments, comme l'a rapporté en 2020 le fabricant du médicament, Cyclo Therapeutics à Gainesville, en Floride. Les fonctions cognitives de l'individu sont restées stables pendant 18 mois de traitement, indique la société.

Cependant, la cyclodextrine pourrait ne pas être idéale pour corriger les déséquilibres lipidiques dans le cerveau. "C'est une sorte de marteau de forgeron", déclare Leyla Akay, neuroscientifique au laboratoire de Tsai et co-auteur de la dernière étude. "Il épuise simplement le cholestérol des cellules."

Mais de meilleures thérapies pourraient émerger maintenant que Tsai et son équipe ont contribué à mettre la dérégulation du cholestérol sur la carte de la recherche sur la maladie d'Alzheimer. "Cette étude met en évidence l'importance du rôle du cholestérol dans le cerveau", déclare Irina Pikuleva, biochimiste à l'Université Case Western Reserve à Cleveland, Ohio, "et nous devons maintenant essayer toutes les stratégies disponibles pour cibler le cholestérol cérébral".


Références
(1) Blanchard, J. W. et al. Nature https://doi.org/10.1038/s41586-022-05439-w (2022). PDF

(2) Sienski, G. et al. Sci. Transl. Med. 13, eaaz4564 (2021). On-line - PDF

(3) Victor, M. B. et al. Cell Stem Cell 29, 1197–1212 (2022). On-line


BLOTS ON A FIELD ?

UN DOMAINE ENTACHÉ DE SUSPICION ?

Il s'agit de la maladie d'Alzheimer, une maladie encore très mal connue sur le plan biochimique, et même sur ses causes réelles.

Alzheimers disease brain comparison

Et heureusement, la communauté scientifique internationale fait sa propre police, ses propres enquêtes pour débusquer des fraudes ou des malversations, rares, mais malheureusement existantes, et ces derniers temps, le journal Science a publié les observations d'un enquêteur et lanceur d'alerte, ayant débusqué très probablement (un comité d'experts devra statuer) des malversations concernant la théorie considérée jusqu'ici comme la plus crédible, avancée par un laboratoire universitaire américain, et utilisée en ce moment par une petite société spécialisée pour développer des médicaments qui sont en cours d'essais cliniques. Dans le climat général de suspicion par rapport au monde scientifique suite à la pandémie de SARS-CoV-2, il est heureux que le monde scientifique se montre ainsi aussi vigilant.
 
 
J'annonce tout de suite que je suis loin d'être un expert, c'est un domaine de recherche extrêmement complexe et diversifié, et il me faudrait certainement des semaines pour en faire le tour, ne fut ce que pour en avoir un bon aperçu.
 
Je ne reviendrai pas sur les symptômes et l'évolution de la maladie. Je pense que ça, c'est connu de tous.
Ça fait maintenant bien plus d'un siècle, en 1907, que le Docteur Aloïs Alzheimer a décrit le cas d'une première patiente qu'il a suivi sur des années, noté l'évolution de ses déficits cognitifs, et examiné post-mortem, son cortex cérébral, dans lequel il a noté non seulement qu'il était largement dégénéré, mais aussi qu'il comportait des structures atypiques sous formes d'amas.
 
Il faudra encore attendre 20 ans pour caractériser la structure de ces amas faits de plaques amyloïdes, et ce n'est que dans les années '80 qu'on en comprendra l'origine.
Toutes les cellules de l'organisme comportent des protéines trans-membranaires (c'est à dire qu'une partie se situe à l'intérieur de la cellule, une autre à l'extérieur, et fatalement, une petite partie est associée à la membrane cellulaire. Ces protéines sont appelées communément APP (pour "Amyloid Precursor Protein"). Elles sont particulièrement abondantes dans les neurones du cortex cérébral.
 
Fait très important, elles sont conservées au cours de l'évolution des espèces, et on les retrouve chez la mouche par exemple. Il est donc certain qu'elles jouent un rôle clé, mais encore mal compris. Elles pourraient intervenir dans le développement du système nerveux périphériques, dans la survie des neurones, dans la mémoire. De nombreuses hypothèses sont à l'étude, mais rien n'est totalement clair.
 
Chez une personne saine, la protéine APP se clive une première fois dans sa partie extérieure, la plus longue, en une position proche de la membrane, grâce à une enzyme appelée 𝛂-secrétase, puis une seconde fois, dans la partie intra-membranaire, 26 acides aminés plus loin, par une 𝛾-secrétase, donnant donc lieu, outre le long peptide provenant de la partie externe, dont le rôle n'est pas encore éclairci en ce moment, à un petit peptide de 26 acides aminés, appelé P3, et qui ne provoque aucune toxicité ni agrégat dans le cortex.
Par contre, chez les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, si la 𝛾-secrétase joue bien son rôle dans la partie située dans la membrane, l'𝛂-secrétase est remplacée par une 𝛽-secrétase, coupant le peptide un peu plus à l'écart de la membrane, donnant lieu à une petit peptide, cette fois de 42 acide aminés, appelé A𝛽*42, et responsable de la formation des agrégats, appelés plaques amyloïdes.
 
Cette découverte a soulevé un intérêt énorme dans la communauté scientifique spécialisée dans cette pathologie, et la recherche de médicaments pouvant inhiber la 𝛽-secrétase est devenue rapidement la quête du Graal, de nombreuses équipes universitaires ou privées se sont lancées sur cette piste, et bien sûr de nombreux crédits publics ou de nombreux investisseurs privés ont été recherchés pour financer ces travaux.
 
Jusqu'ici, aucune de ces nombreuses recherches n'a permis d'aboutir à une solution thérapeutique. Il faut noter, et ceci est une remarque personnelle, mais je suis loin d'être le seul à soulever ce point, que personne ne peut affirmer avec certitude que la production de plaques amyloïdes est la cause de la maladie d'Alzheimer, et pas une conséquence de celle-ci.
Quand dans les années 2000, j'étais encore actif dans la recherche pharmaceutique, il m'arrivait de lire des articles ou d'assister à des conférences sur la maladie d'Alzheimer, bien que je n'aie jamais été directement impliqué dans ces axes de recherche.
 
Deux mécanismes étaient alors couramment évoqués pour tenter d'expliquer la pathologie. Le premier était celui que nous venons d'évoquer, des plaques amyloïdes.
Le second était l'accumulation de protéines tau déformées dans les neurones des malades, principalement au niveau des axones des neurones. Dans toutes les cellules, il existe un squelette interne, appelé cytosquelette pour donner sa forme à la cellule et l'empêcher de s'écraser sur elle même. Ce cytosquelette est fait de microtubules, eux-mêmes constitués de protéines. Dans les axones des neurones, les microtubules sont recouverts d'une protéine appelée tau (pour tubulin-associated unit) qui servent à rendre les microtubules plus flexibles, les axones ayant besoin d'une plus grande plasticité pour se lier au neurone suivant, créant ainsi un enchaînement de neurones transporteurs d'une information. L'accumulation de ces protéines tau déformées, ne pouvant plus jouer leur rôle autour des microtubules est aussi considérée comme une cause de toxicité neuronale, un peu comme le sont les prions dans la maladie de la vache folle.
 
En bon béotien que j'étais, je ne comprenais pas le rapport entre les deux observations. J'ai donc levé le doigt à plusieurs reprises pour demander quel était le mécanisme moléculaire qui reliait les protéines tau à la production de A𝛽*42, et par là, aux plaques amyloïdes. Aucune réponse ne pouvait m'être fournie, et toujours en parfait béotien, je commençais à me demander si la maladie d'Alzheimer n'était pas en fait une espèce de fourre-tout dans lequel on englobait des démences provenant de causes différentes, mais induisant les mêmes symptômes cliniques.
Si tel était le cas, on était certainement loin de trouver un traitement, me disais-je, toujours en parfait béotien.
 
Depuis, de nombreux autres mécanismes ont été évoqués pour tenter d'expliquer la maladie d'Alzheimer. Notamment, la mutation de gènes, l'immunité innée dans des cas de maladies d'Alzheimer répandue dans une même famille, une maladie auto-immune, des processus inflammatoires, l'hyperlipidémie (trop de graisses) ou l'hyperglycémie (trop de sucres) au niveau du cerveau, etc .... Des recherches sont poursuivies dans tous ces domaines, et bien sûr, des fonds sont alloués à toutes ces recherches. Sans succès jusqu'ici.
Et puis, en 2006, un article révolutionnaire sort dans le prestigieux journal Nature. Venant d'une équipe de l'Université du Minnesota, dirigée par Karen Ashe, une chercheuse prestigieuse pour avoir fait partie de l'équipe ayant identifié les prions. Le premier auteur, et visiblement l'auteur de la découverte décrite, est Sylvain Lesné un postdoctorant français, qui suite à cette découverte poursuit maintenant une brillante carrière aux États-Unis. De quoi s'agit-il ? Lesné a identifié chez le rat un résidu peptidique inconnu jusqu'alors, A𝛽*56, plus long donc que le très souvent décrit A𝛽*42, et induisant clairement chez le rat une neurodégénérescence et des problèmes cognitifs. Lesné déclare que la sécrétion de ce peptide hautement toxique est la cause ultime de la maladie d'Alzheimer. Cet article est une bombe parmi les spécialistes, et de nombreux chercheurs se lancent donc à leur tour sur la piste, en obtenant bien évidemment facilement des fonds, notamment du NIH (National Institutes of Health). Et actuellement, une petite société spécialisée a repris cette hypothèse et a développé un médicament contre la production de A𝛽*56 qui est actuellement en essais cliniques.
 
SAUF QUE, d'abord, personne n'a reproduit les observations de Lesné, que A𝛽*56 n'a jamais été observé chez l'homme, et qu'un lanceur d'alerte du monde scientifique, soutenu par de nombreux autres, a montré que de nombreuses images d'expériences de Westen blot, une technologie permettant de mettre en évidence des protéines particulières parmi toutes les autres figurant dans un milieu biologique et de les quantifier, étaient manifestement trafiquées de façon à supporter la thèse avancée. Cet enquêteur précise toutefois qu'il n'a travaillé qu'à partir des images publiées, et qu'il n'a pas eu accès aux images originales à haute définition. Il a soumis le résultat de ces enquêtes au NIH, mais devant la lenteur de l'administration, il a soumis tous les résultats de son enquête au journal Science, qui a publié un long article sur le sujet, article dont je reprends la traduction sur mon site web, et que vous trouverez en cliquant sur le lien ci-dessous.
 
Cet article de Science, qui tend à indiquer une malversation majeure dans un domaine de première importance, indiquant un mécanisme qui risque bien de n'être qu'une chimère, mais pour lequel de milliards de dollars d'argent public ont été investi, a très vite été relayé par les quotidiens grand-public. En même temps que je découvrais l'article de Science, j'en lisais des compte-rendus à la fois dans le New York Times et dans Le Monde.