L’épopée de la vaccination est une des aventures les plus extraordinaires du génie humain, à savoir la lutte, et la victoire, contre un ennemi invisible, capricieux et mortel.

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Par Corrado Augias (La Repubblica)

Le 29/12/2020 à 15:41

C’était une chose d’affronter des ennemis à ciel ouvert (quand ça arrivait encore), des ennemis qui se trouvaient là, de l’autre côté de la plaine et dont on pouvait, même à l’œil nu, évaluer le potentiel offensif. Mais c’en est une autre d’affronter un ennemi invisible, venu d’on ne sait où et frappant au hasard, épargnant une communauté pour en exterminer une autre. On peut comprendre qu’en des temps reculés, un tel mal était attribué à la volonté des dieux, désireux de venger une offense ou encore de punir une faute. D’ailleurs, même aujourd’hui, au XXIe siècle, certains mettent encore en cause la divinité ou invoquent sa protection. Œdipe erre dans les rues de Thèbes, frappée par la peste, en se demandant quelle insulte a été faite aux dieux. Il découvrira trop tard que c’est lui qui a offensé le ciel, car il a tué son père à son insu et a couché avec une femme qui n’était autre que sa mère. Un mythe examiné de plusieurs points de vue, et notamment celui de la psychanalyse, mais qui, lorsqu’il est associé à l’histoire des épidémies, révèle pourquoi leur « mystère » les a rendues si difficiles à affronter.

Les vaccins ont été l’instrument privilégié de la bataille. Quand je lis que de pauvres âmes tremblantes refusent la vaccination, j’ai la confirmation que l’ère de l’électronique n’a pas eu raison des superstitions – elle les a simplement actualisées.

Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, le médecin anglais Edward Jenner, qui travaillait non loin de Bristol, a entendu une jeune paysanne se vanter auprès d’une amie qu’elle n’aurait jamais le visage ravagé par la variole puisqu’elle était déjà « vaccinée » contre ce fléau. En Angleterre et ailleurs, l’immunité particulière dont jouissaient les habitants des campagnes n’était pas un secret. Cependant, Jenner, qui était un jeune homme plutôt curieux, a voulu aller au fond des choses en organisant une expérience cruelle, risquée et impensable aujourd’hui. Il a choisi un garçon de huit ans, James Phipps, et en a fait son cobaye. Après lui avoir fait deux égratignures sur le bras, il lui a inoculé un liquide prélevé à partir des pustules de variole présentes sur le pis d’une vache. Pour étudier les effets de l’expérience, il a ensuite exposé le petit James à des cas de variole humaine. Il ne s’est rien passé, le pauvre James était immunisé.

À partir de 1979 (source : OMS), la variole a disparu de notre planète, alors qu’on estime qu’au siècle de la Révolution française et des droits de l’homme, elle a causé la mort de près de 10 % de la population mondiale. D’ailleurs, les personnes d’un certain âge (moi y compris) gardent sur l’humérus la marque de la vaccination antivariolique, qui a continué à être pratiquée jusque dans les années cinquante. Dans le livre I vaccini dell’era globale de Rino Rappuoli et Lisa Vozza (éd. Zanichelli), j’ai lu que Mozart, Beethoven, Washington et Lincoln n’avaient gardé aucune séquelle de la variole, tandis que Staline cachait sa peau, couverte d’imperfections héritées de la maladie, avec un peu de fard et faisait retoucher ses photos.

Soigner le mal par le mal

La découverte du docteur Jenner est le fruit de la volonté et de la chance, mais l’idée qu’une petite quantité de mal puisse protéger contre un mal plus grand ne date pas d’hier. En Chine, au VIe siècle avant J.-C., une sorte de vaccination rudimentaire était déjà pratiquée sur les membres de la famille impériale. De minuscules fragments de croûtes infectées, et séchées pour inactiver le virus, étaient soufflés dans le nez de ces illustres patients.

Voici le mot-clé à retenir pour comprendre le fonctionnement d’un vaccin : l’inactivation du virus. L’un des premiers à en avoir fait l’expérience à la fin du XIXe siècle n’est autre que le microbiologiste français Louis Pasteur (brève digression : demandez à un enfant s’il sait pourquoi on parle de lait « pasteurisé »). Alors qu’il étudiait les bactéries du choléra chez les poules, Pasteur a remarqué que celles qu’il avait laissées dans un flacon pendant les vacances d’été s’étaient d’abord reproduites frénétiquement, puis s’étaient affaiblies, c’est-à-dire « atténuées », en raison du manque de nourriture. Une fois inoculées aux poulets, elles étaient facilement détruites par les anticorps de l’organisme. Il s’agissait de l’une des applications les plus convaincantes du vaccin.

Dans cette aventureuse guerre menée par les hommes contre les virus, je dois avouer que j’ai été particulièrement frappé par l’histoire des onctions, décrite par Manzoni dans son roman Les Fiancés , dont l’intrigue se déroule à l’époque de la grande peste de Milan, apportée par les lansquenets dans les années 1600. Attribuer la cause de la peste à des hommes malveillants ou intéressés qui, la nuit venue, enduisaient les murs et les portes des maisons de graisses maléfiques est clairement absurde. Cependant, dans cette explication loufoque se cache une première intuition laïque. Le mal n’est plus considéré comme le résultat de la colère divine, mais plutôt de la méchanceté ou de la stupidité humaine. La peste n’étant plus d’origine céleste, mais terrestre, les hommes ont enfin l’espoir de pouvoir la guérir, une fois les bons outils entre leurs mains. Des instruments qui seront développés avec la découverte du monde microscopique.

La découverte des micro-organismes

De nombreuses années se sont écoulées entre les premières expériences faites avec une paire de lentilles, une concave et une convexe, placées dans un tube métallique, et le développement d’un véritable microscope capable de détecter les virus, mais il était important de maîtriser le principe. Même les téléphones portables d’il y a 40 ans étaient grands, encombrants et beaucoup moins puissants que les fines tranches de technologie que nous possédons tous aujourd’hui. Ces tubes en laiton brut ont révélé un monde dont personne ne soupçonnait l’existence.

Parmi les thèmes récurrents de la littérature scientifique de la fin du XVIIe siècle, une goutte de vinaigre qui, une fois placée sous le microscope, se révélait habitée par une multitude de minuscules anguilles en mouvement. Même résultat avec une goutte de sang, de sperme, l’œil d’une mouche, un peu d’eau stagnante. Alors que Galilée avait pointé son télescope sur les satellites, une foule d’observateurs, pour la plupart des Italiens, ont changé de trajectoire, de perspective et d’état d’esprit en passant de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Ils ont découvert les virus, les ont analysés et ont appris à les combattre avec les vaccins. Aujourd’hui, ces derniers sont notre espoir