Robert Guediguian interview
 

Dernier-ete
1981

L-argent-fait-le-bonheur
1993

A-la-vie-a-la-mort
1995

Marius-et-Jeannette
1997

A-la-place-du-coeur
1998

A-l-attaque
2000

La-ville-est-tranquille
2000

Marie-Jo-et-ses-deux-amours
2002

Lady-Jane
2008

Une-histoire-de-fou
2015


Conversation avec Robert Guediguian

Avant d’être cinéaste, Robert Guédiguian s’est toujours dit qu’il serait un militant qui vivrait intensément. Son cinéma lui ressemble, il est de l’Estaque, il est arménien, il cavale avec joie, il s’arrête avec gravité. C’est un cinéma qui constitue une comédie humaine racontée souvent comme un conte avec la dose d’échappée poétique nécessaire à la vie. 


Dernier été (1981)

L’été incertain d’une bande de copains, balançant entre insouciance et lendemains qui déchantent... Dès ce premier film de Guédiguian, tout y est : l’amorce d’une oeuvre où se joue le destin de la classe ouvrière et du quartier de l’Estaque, et un duo d’acteurs fétiche : Gérard Meylan et Ariane Ascaride.
L’Estaque, un port au nord de Marseille, aux premières lueurs des années 1980. Gilbert vit de petits boulots, mais il a conscience que cela ne durera pas toujours. Les usines ferment et le quartier subit les assauts des promoteurs immobiliers. Avec ses amis Banane, Mario et son frère Boule, éternellement réunis autour d’un pastis, Gilbert parle du quotidien, drague sans lendemain, frime en plongeant à des hauteurs insensées ou monte des combines pour se faire des sous. Un jour, il rencontre Josiane, une jeune femme qui travaille à l’usine…

Vivre et mourir à l’Estaque
Fils d’un docker et originaire de Marseille, Robert Guédiguian puise dans le terreau socioculturel qui l’a vu grandir le matériau de son premier film, coécrit et réalisé avec Frank Le Wita. Ici, le travail et l’argent – ou plutôt leur absence – régissent les conversations et servent de moteur au récit. S’y déploient déjà l’observation attentive d’une classe ouvrière en proie à un chômage galopant, la puissance du collectif comme rempart au désespoir et l’esprit de fronde face aux élites. “Il est mort ce quartier et nous avec”, constatera Gilbert, propos qui n’a rien de fictionnel. Une fin annoncée, contre laquelle Guédiguian luttera néanmoins, en racontant le port et l’Estaque toute sa vie, afin de donner un visage à ceux que les politiciens méprisent. Il peuple ce lieu de personnages que va jouer la même troupe d’acteurs et d’actrices au fil des décennies (dont on voit ici les émouvants débuts et la jeunesse), symboles d’un cinéma qui se fait à plusieurs, sur le temps long. Dans Dernier été, le jeune cinéaste installe, sans le savoir, le duo d’amoureux emblématique de son œuvre, Ariane Ascaride et Gérard Meylan, qu'on retrouvera notamment dans Marius et Jeannette, le succès qui fera connaître Guédiguian au grand public en 1997. Jean-Pierre Darroussin rejoindra la fine équipe en 1986 et ne quittera plus cet univers où le drame côtoie, dès ce premier film, allègrement la fête.


L'argent fait le bonheur (1993)

Dans une cité proche de Marseille, minée par la violence et le chômage, un groupe de femmes prend les choses en main... Premier volet des "Contes de l’Estaque" de Robert Guédiguian (avant "Marius et Jeannette" et "À l’attaque"), une fable sociale grinçante, tempérée par l’idéalisme et les échappées oniriques.
Dans une cité perchée au-dessus de Marseille se côtoient des familles aux origines diverses, toutes frappées par la misère, entre chômage, drogues et violences. Face à l’horizon morne qui les guette, un curé – qui officie dans une église de tôle ondulée – se démène pour améliorer le quotidien. Lorsque le caïd de la cité est incarcéré, ses deux “lieutenants”, Pierre et Omar, s’affrontent pour le remplacer. Une épaisse ligne de peinture est tracée au sol sur l’esplanade pour distribuer les clans, séparant au passage nombre d’amis, de couples et de familles. C’est sans compter l’élan héroïque des mères du quartier qui vont échafauder un plan pour faire à nouveau société.

L’irrévérence au cœur
Avec ce film, Robert Guédiguian amorce les “Contes de l’Estaque”, qui comprennent aussi Marius et Jeannette et À l’attaque. Ces films s'ancrent dans le petit port de la banlieue marseillaise du même nom, et se démarquent par leurs saillies surréalistes et provocatrices : “On va leur apprendre à voler comme il faut”, déclare Simona qui veut inciter les enfants à aller chez les riches au lieu de dépouiller leurs voisins, aussi pauvres qu’eux. Accompagné pour la première fois au scénario par Jean-Louis Milesi – avec lequel il collaborera pendant quinze ans –, le cinéaste se lance à grandes embardées dans son récit, comme les gamins gouailleurs de la “cité-théâtre” qui constitue l’âme du film. Il en quadrille le territoire avec la curiosité de l’enfance, dans un flot de mouvements de caméra dynamiques. Dans cette unité de lieu resserrée se crée une société en miniature qui sait pourtant prendre de la hauteur. Face au chômage, aux addictions, aux violences ou au désarroi d’un curé dépassé, les femmes de la cité se démènent avec, en tête, Ariane Ascaride, sublime figure de matriarche. Avec un goût prononcé pour le pas de côté – tant dans les échappées oniriques que dans le détournement savoureux de la langue –, le réalisateur exprime avec emphase son idéal : un vivre-ensemble qui se jouerait des travers de la société pour en créer une meilleure. Depuis, la cité du Plan d’Aou, où avait été tourné le film, a été démolie. Mais Robert Guédiguian continue de regarder les classes populaires sans misérabilisme et de riposter avec irrévérence au discours dominant.


A la vie, à la mort ! (1995)

Entre Marseille et L'Estaque, port d’attache où Robert Guédiguian installe à nouveau sa petite bande de généreux irréductibles, un mélo tour à tour déchirant et rigolard.
L'Estaque, dans la banlieue de Marseille, entre les cheminées des raffineries et la mer. Le cabaret du Perroquet bleu sert de refuge à une poignée d'irréductibles. Il y a José, le patron, Gitan au grand cœur, amoureux des voitures et des femmes ; Joséfa, la patronne, strip-teaseuse attitrée de l'établissement ; Marie-Sol, qui monte tous les jours à Notre-Dame de la Garde pour supplier la Vierge de lui donner un enfant ; Patrick, son mari, chômeur de longue durée ; Jaco, lui aussi sans travail depuis longtemps, détesté par sa femme et ses enfants parce qu'il n'arrive pas à payer les traites de la maison ; Otto, l'ancien légionnaire ; et enfin Papa Carlossa, le père de José et de Marie-Sol, qui croit que Franco règne toujours sur l'Espagne et qui rêve de lui faire la peau. Vénus, une jeune toxicomane, et Farid, un gamin des rues, rejoignent bientôt la bande. Un jour, Marie-Sol demande à Jaco de lui faire l'enfant qu'elle ne peut pas avoir avec son mari...

Hymne à l'amour
Jeunes ou vieux, tous les membres de la tribu cabossée du Perroquet bleu, généreux jusqu'au sacrifice, luttent pour survivre au jour le jour, avec pour carburant l’amour qu’ils se portent envers et contre tout. L'enfant que porte Marie-Sol devient le symbole de l'espoir et le ciment de cette petite communauté qui tient tête à la misère et au malheur. Entre espoir et tragédie, comédie et lyrisme, Robert Guédiguian resoude dans les rues de l’Estaque et de Marseille, qu’il filme toujours avec le même élan, sa belle équipe de camarades, renforcée de quelques outsiders, dont Jacques Gamblin, bouleversant. À la fois rigolard et ineffablement mélo, un hymne à l’amour et à la solidarité.


Marius et Jeannette (1997)

Dans le quartier de l’Estaque à Marseille, Marius rencontre Jeannette... Signée Robert Guédiguian, une vraie romance populaire interprétée par une formidable bande d'acteurs : Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Pascale Roberts et Jean-Pierre Darroussin.
L'Estaque, à Marseille. Jeannette élève seule ses deux enfants avec un maigre salaire de caissière. Elle habite une minuscule maison ouverte sur une courette, entourée par des voisins qui l'encouragent avec force éclats de rire et coups de gueule. Un jour, Jeannette escalade le mur d'une cimenterie désaffectée dans l'intention de voler des pots de peinture pour refaire sa maison. Marius, vigile taciturne, l'en empêche et tous deux s'engueulent. Le lendemain, Marius vient déposer les pots chez elle…

"Une envie de lumière"
"C'est une histoire d'amour. Pas Sissi et l'archiduc. Non, une histoire d'amour chez les pauvres, là où il n'y a vraiment aucun intérêt en jeu dans le fait de vivre ensemble… Il y aurait plutôt des soucis supplémentaires. C'est un conte : la vie n'est pas comme cela. Croyez-moi, j'en suis conscient. C'est une proposition, une envie de lumière, d'air frais, de bonheur malgré tout possible. La comédie, le burlesque, le mélodrame sont là pour produire un enchantement, pour générer de la vitalité. Cela me fait penser à du théâtre berlinois d'agit-prop. La cour ressemble d'ailleurs à une scène de théâtre : les voisins de Jeannette constituent le chœur antique. Ce qui me permet d'intervenir dans le débat crucial de la recette de l'aïoli, de faire de la publicité pour L'Humanité (qui va mal) et pour Le Monde diplomatique (qui va bien), d'insister sur le fait que voter Le Pen ne serait-ce qu'une fois est une fois de trop, que les grandes religions monothéistes ont une origine commune… Bref, de situer dans son contexte actuel cette histoire d'amour. C'est vrai que je dis des évidences. Mais jusqu'où doit-on être subtil ? N'y a-t-il pas des choses qu'il faut sans cesse réaffirmer sous des formes sans cesse renouvelées ?" (Robert Guédiguian)


À la place du coeur (1998)

Au moment où Clim et Bébé, 16 et 18 ans, annoncent qu'ils vont se marier, Bébé est arrêté pour un viol qu'il n'a pas commis. Robert Guédiguian réunit une nouvelle fois sa bande dans un conte à la fois naïf et cruel, librement inspiré du roman de James Baldwin.

Clémentine et François, dits "Clim" et "Bébé", vivent aux Baumettes, un quartier populaire de Marseille. Ils se connaissent depuis la petite enfance. Il est noir, elle est blanche. Ils ont grandi ensemble puis ont appris à s'aimer. À 16 et 18 ans, les deux adolescents s'estiment assez vieux pour se marier et vivre leur amour au grand jour. C'est alors que Bébé est injustement accusé d'avoir violé une jeune femme et se retrouve en prison...

D'or et de poussière
Dès le premier plan, on est frappé par la luminosité du visage de Clim, sa fierté, la ténacité qu'on lui devine. Pas seulement parce qu'on est à Marseille, ville belle et dure, mais parce que l'adolescente irradie de jeunesse et de maturité. L'histoire de Clim, de sa famille, de son amour renvoie à d'autres histoires, plus collectives, politiques. Film d'espoir naïf, comme les contes pour enfants, mais aussi cruel, À la place du cœur n'est jamais amer et va au-delà du constat. Clim et son compagnon sont à l'affût d'eux-mêmes et du monde, à l'opposé du policier raciste qui envoie Bébé en prison et de sa mère adoptive, devenue bigote. Deux esprits qui ont pris la poussière. Robert Guédiguian parle d'altérité et de la folie du monde à laquelle nous confrontent les images d'un Sarajevo en ruines, traversé en voiture par la mère de Clim. Un an après Marius et Jeannette, le cinéaste substitue magnifiquement le courage à l'abattement, le questionnement aux certitudes faciles, dans cette adaptation librement inspirée du roman Si Beale Street pouvait parler de James Baldwin.


À l'attaque ! (2000)

Dans ce troisième "Conte de l’Estaque", Robert Guédiguian entrecroise deux récits : l’écriture d’un scénario par deux compères et l’histoire qu’ils racontent, celle d’un garage familial en péril. Un habile procédé pour mettre en scène les représentations de classes. Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan.
Installés dans une maison confortable, deux scénaristes se lancent dans l’écriture d’un film politique. D’envies et de caractères divergents, ils se heurtent à une foule de questions sur la construction des personnages et du récit, tandis que l’histoire prend forme sous nos yeux. Au garage Moliterno & Cie, Gigi et Jean-Do sont en charge de la réparation des voitures tandis que Lola les bichonne et que Marthe s’occupe des factures. Sommés de payer leurs traites, ils se retrouvent dans une impasse, par la faute d’une multinationale qui leur doit de l’argent. La fronde va s’organiser…

Mise en abyme
À l’attaque ! l’annonce d’entrée de jeu – l’entreprise est assurément ludique –, le spectateur se trouve dans un “Conte de l’Estaque”, série de films dans laquelle Robert Guédiguian travaille son cinéma sur le registre de la fable. Si les deux volets précédents, L’argent fait le bonheur (1993) et Marius et Jeannette (1997), étaient construits de façon classique, le cinéaste opère ici une mise en abyme qui ausculte le processus de fabrication complexe d’un récit. Car Yvan et Xavier, duo de scénaristes qui rappelle forcément Robert Guédiguian et Jean-Louis Milesi (onze films scénarisés en binôme !), s’écharpent sur la trajectoire des personnages qu’ils ont créés… dans un contexte social précis. Une façon maligne d’interroger le regard de la petite bourgeoisie sur la classe ouvrière, de donner du relief à ceux et celles qu’ils font vivre à l’Estaque et dont ils imaginent progressivement la rébellion face à un capitalisme de plus en plus gourmand. Quand Gigi et Jean-Do disent des patrons que “c’est leur métier de nous contenir”, les femmes de Moliterno & Cie libèrent, elles, leurs désirs et portent l’espoir d’une fin heureuse. Et le conte de transcender la réalité crasse d’une société qui vire à droite, en portant haut le pouvoir du groupe.


La ville est tranquille (2000)

Ouvrière de nuit, Michèle (Ariane Ascaride) lutte pour s'en sortir aux côtés d'autres compagnons de galère. Un film âpre à la tonalité documentaire, face sombre de l'œuvre de Robert Guédiguian.

Michèle, employée à la criée aux poissons de Marseille, tente de sauver sa fille Fiona, toxicomane, qui se prostitue pour se procurer des doses. Malgré son travail nocturne, elle s'occupe du bébé de celle-ci, une fille prénommée Ameline. Autour d'elle gravitent Paul, qui a trahi ses amis dockers pour devenir chauffeur de taxi, un jeune homme noir vivant dans les cités, des militants d'extrême droite… À bout de force, Michèle demande à Gérard, son amour de jeunesse, de lui fournir de la drogue pour sa fille en manque. Dans une autre partie de la ville, plus bourgeoise, Viviane trouve le courage de quitter son mari grâce à Abderramane, tout juste sorti de prison…

La vraie vie
Avec Marius et Jeannette (1997), Robert Guédiguian avait touché un large public, séduit par le caractère joyeux de cette romance populaire. Ses héros, incarnés par le couple vedette Ariane Ascaride/Gérard Meylan, étaient pauvres mais dignes, fauchés mais heureux malgré tout. Ce côté lumineux de la filmographie du cinéaste ne saurait faire oublier son autre face, plus âpre et plus réaliste. Juste après À l'attaque !, autre "Conte de l'Estaque" à la tonalité légère et comique, Guédiguian délaissait ainsi son regard tendre pour adopter un point de vue lucide sur la cité phocéenne et ses habitants au bord du désespoir. Dès les premières images, proches du documentaire, le spectateur est transporté dans un univers sombre : la criée, bruyante, fatigante, et la vie de Michèle (incarnée avec une extraordinaire puissance par Ariane Ascaride), de plus en plus terrifiante, entre son boulot de nuit, sa fille droguée, son mari alcoolique et le bébé dont elle s'occupe seule. Proche de Ken Loach dans l'esprit et le style, le réalisateur ne noircit pas pour autant exagérément le tableau. Et observe, comme à l'accoutumée, avec beaucoup d'empathie ce monde si dur envers les êtres usés et désabusés.


Marie Jo et ses deux amours (2002)

La tragédie d'une femme incapable de choisir entre les deux hommes qu'elle aime... Porté par une photographie splendide, ce film de Robert Guédiguian, à la fois sensuel et romantique, porte aux nues le jeu d'Ariane Ascaride, sacrée meilleure actrice aux César.

Conductrice d'ambulance, Marie-Jo mène une existence en apparence heureuse auprès de son époux, Daniel, et de leur fille, Julie. Son quotidien s'organise entre les déplacements dans Marseille et sa banlieue et la comptabilité dont elle s'occupe pour la petite entreprise de bâtiments de son mari. Mais si Marie-Jo aime profondément Daniel, elle est aussi très éprise d'un autre homme, Marco, pilote dans le port de Marseille. Perpétuellement déchirée par sa double vie, elle ne parvient à prendre aucune décision. Un jour, depuis un chantier, Daniel l'aperçoit au balcon de l'appartement de Marco…

(Poly)amour impossible
Marie-Jo approche la cinquantaine, le "milieu de la course de [sa] vie". Robert Guédiguian, citant l'incipit de La divine comédie de Dante et sa forêt obscure, annonce d'emblée que la tragédie guette. C'est un voyage, assurément, que l'héroïne entreprend, ponctué d'aller-retours entre deux mondes, deux vies possibles, en camionnette, à pied ou en bateau. Si Daniel professe un caractère sédentaire, Marco ne cesse, lui, de prendre le large, et Marie-Jo de tanguer entre ces pôles, sans trouver de véritable amarre. Elle qui veut exister pour elle-même, se défaire des petits tracas des autres, conquérir sa liberté, se heurte à l'impossibilité du polyamour. Ce désir de se délester du superflu se dit partout dans ce qui est certainement le film le plus sensuel de Guédiguian. Les protagonistes ne sont jamais aussi heureux que nus, sur le carrelage, au lit ou dans l'eau. Marseille darde son soleil aveuglant sur leur trajectoire de désir et de souffrance, littéralement infernale. Avec un romantisme total, le cinéaste exalte la mélancolie d'une héroïne qu'il ne quitte presque jamais du regard. Ariane Ascaride apporte toute la puissance et l'émotion de son jeu à cette âme qui se perd dans l'indécision, exprimant avec la même force le grand bonheur et la chute dans les abysses, avec, toujours, une brèche ouverte sur la mort, grand thème du cinéma de Guédiguian.


Lady Jane (2008)

La soif de vengeance d'une ancienne braqueuse dont on a kidnappé le fils. Avec cette âpre incursion dans le polar, Robert Guédiguian emprunte tous les codes du genre pour filmer frontalement la violence et interroger le délitement des liens sociaux et affectifs.

Propriétaire d'un élégant magasin à Aix-en-Provence, Muriel n'a plus revu François et René, ses deux comparses de jeunesse, depuis une quinzaine d'années. À l'époque, ils vivaient de cambriolages et distribuaient des fourrures volées aux ouvrières de leur quartier de Marseille. Mais après la mort d'un bijoutier sur lequel Muriel avait tiré à bout portant, ils s'étaient séparés. Un jour, le fils de cette dernière est kidnappé. Le trio se reforme pour réunir l'argent de la rançon.

Film noir
Une génération s'est écoulée depuis le premier film du cinéaste, Dernier été (1981) ; et Nicolas Sarkozy vient d'arriver au pouvoir. Serait-ce le moment pour "la bande à Guédiguian", à nouveau réunie dans ce film à la tonalité sombre, de faire le bilan ? Ce Lady Jane à l'univers très urbain déserte les ruelles de l'Estaque et la solidarité prolétaire pour évoquer l'embourgeoisement pavillonnaire de la prospère Aix-en-Provence, tandis que l'actrice fétiche du cinéaste, Ariane Ascaride, abandonne le charisme lumineux de ses précédents personnages pour camper une héroïne ivre de revanche. Réapparus comme s'ils ne s'étaient jamais quittés, ses anciens copains lui prêtent main forte sans ciller. Mais comment continuer à jouer collectif dans un monde crépusculaire, rongé par l'individualisme ? Multipliant les scènes de nuit, Robert Guédiguian s'approprie avec talent les codes du polar pour filmer frontalement la violence et regarder ses personnages se débattre dans la solitude, avec la mort pour horizon. Pour ce premier – et unique à ce jour – film noir, lui qui a toujours pensé le groupe comme la réponse aux crises, pousse les curseurs pour exposer l'impasse du chacun pour soi. Pourtant, si ses trois héros se déchirent à l'écran, ils n'en racontent pas moins l'espoir d'une société qui saurait à nouveau retisser les liens entre les êtres.


Une histoire de fou (2015)

Marseille, début des années 1980 : une famille issue de la diaspora arménienne se divise, alors que les attentats se multiplient pour faire reconnaître le génocide. Un sujet fort, porté avec souffle et générosité par Robert Guédiguian.

Berlin, 1921. Talaat Pacha, grand vizir turc en exil et principal responsable du génocide arménien, est assassiné par Soghomon Thelirian, un survivant des massacres devenu activiste au service de son peuple. Acquitté à l'issue de son procès, il fait découvrir au monde occidental l'ampleur des crimes perpétrés par le régime turc. Soixante ans plus tard, dans une famille arménienne installée à Marseille, cette mémoire douloureuse divise : alors que le père a choisi d'oublier pour s'adapter, Aram, le fils, est décidé à se battre pour la reconnaissance politique du génocide. Engagé dans la lutte armée, il participe bientôt à un attentat visant l'ambassadeur de Turquie à Paris. Un étudiant, Gilles, est grièvement blessé par l'explosion…

D'une tragédie à l'autre
Après Le voyage en Arménie (2006), Robert Guédiguian remonte une nouvelle fois le fil de ses origines. À la différence de ce précédent film, Une histoire de fou s'inscrit pleinement dans la grande Histoire, reconstituant dans sa première partie l'assassinat du "Hitler turc" Talaat Pacha. Pour autant, il ne traite pas du génocide en lui-même, mais plutôt de ses conséquences pour les générations qui ont hérité de sa mémoire. Le scénario a été inspiré par l'histoire vraie d'un journaliste espagnol, José Antonio Gurriarán, victime collatérale d'un attentat de l'Asala (Armée secrète arménienne de libération de l'Arménie), qui à la suite de ce drame s'est intéressé au génocide et est allé jusqu'à rencontrer les activistes responsables de ses blessures. On le retrouve ici sous les traits de Gilles, jeune bourgeois dont le destin se retrouve mêlé à celui d'une famille marseillaise issue de la diaspora. Comment faire sienne l'histoire des autres ? Voilà le beau sujet de ce film à la fois édifiant et romanesque, dans lequel Robert Guédiguian propose, avec son regard généreux, une réflexion humaniste sur la lutte armée et le pardon.