Tu vois, d'ici on voit le Mont Blanc sur son versant italien, avec les Grandes Jorasses à droite et le Dôme du Goûter à gauche.
Pourtant nous sommes bien en France, à une extrémité du Parc National de la Vanoise, avec l'Aiguille du Fruit dans notre dos et la vallée de Bozel droit devant.
Mais regarde la carte. Là-bas, la frontière entre la France et l'Italie suit toute la crête du Mont-Blanc puis forme une large boucle autour de la vallée de Courmayeur et du Val D'Aoste avec le Parco Nazionale Gran Paradiso qui prolonge, côté italien le Parc de la Vanoise où nous nous trouvons.
J'aime beaucoup l'endroit où nous sommes. Nous sommes exactement au bord du Parc, dans une petite poche sur son côté ouest, qui entoure l'aiguille du fruit.
Il y fait calme. Peu de monde passe ici. Et on y a une des plus belles vues sur le Mont-Blanc. Les Grandes Jorasses, l'aiguille et le col du Géant, et sur l'avant, sur le versant italien, les aiguilles blanche et noire de Peuterey.
Quand je regarde le Mont-Blanc, même d'aussi loin, je ne peux m'empêcher de penser à l'Italien Riccardo Cassin, qui fut le premier, en 1938, à atteindre le sommet des Grandes Jorasses par sa face nord, sur l'éperon Walker tout à droite. Cassin qui s'illustra aussi souvent dans l'Himalaya, mais qui ne participa pas à la grande expédition italienne du K2 pour raisons de santé. Contrairement à cet autre géant italien, Walter Bonatti, qui s'illustra dans les Alpes, l'Himalaya et les Andes, tout comme Lionel Terray. Je pense à Pierre Allain, qui fut de la deuxième à l'éperon Walker, et le premier sur la face nord des Drus et de la première expédition française dans l'Himalaya. Et puis le Marseillais Gaston Rébuffat, de la troisième au sommet des Grandes Jorasses, qui fut un des trois guides dans la fameuse expédition de l'Annapurna de 1950, qui fut si dramatique pour les vainqueurs. Et les deux autres de ces guides, qui formèrent une cordée mythique entre 1945 et 1950, Lionel Terray et Louis Lachenal. Lachenal, le plus doué de sa génération, disait Terray, qui dut abandonner l'alpinisme car il laissa ses orteils gelés dans l'Annapurna. Il est mort accidentellement à ski 5 ans plus tard, après un ultime retour à la montagne. Dans cette Noire de Peuteray précisément, guidé par Gaston Rébuffat, qui y amena aussi son ami, l'ineffable alpiniste-violonceliste Maurice Baquet. Cette Noire de Peuterey, dont la face nord fut vaincue par une autre cordée mythique des années 1950. Celle de l'autre Marseillais René Desmaison et le jeune Jean Couzy. Desmaison, cet autre grand des trois chaînes, Alpes, Himalaya et Andes, et spécialiste des courses hivernales. Et Jean Couzy, hyper doué, à tel point qu'il participa aussi à l'Annapurna. Il ne fut jamais professionnel. La guerre, puis la volonté de devenir Polytechnicien, l'en ont empêché. Il se tuera jeune, dans une ascension facile (comme Terray), à 35 ans à peine.
Lionel Terray, qui avec Louis Lachenal, efectua tant et tant de premières dans les Alpes et les Dolomites, fut de la quatrième à l'éperon Walker avec son compagnon de cordée. Ainsi que de la seconde au sommet de la face nord de l'Eiger, toujours avec Lachenal, seulement précédés par la cordée de l'Allemand Anderl Heckmair. Après l'Annapurna, alors que Rébuffat, profondément dégouté par Herzog, resta surtout à Chamonix pour y perfectionner les techniques, surtout la grimpe artificielle, Lionel Terray lui mena une vie aventureuse à collectionner les premières dans l'Himalaya, où il emmena Couzy à deux reprises, et surtout dans les Andes. Avant de se tuer dans une course facile, dans la fissure en arc-de-cercle du Gerbier, à deux pas de sa maison natale, avec son copain Marc Martinetti, alors qu'on pense qu'ils avaient déjà atteint le sommet de la falaise. C'était en 1965. Il avait 44 ans.
En voyant la Noire de Peuterey, je repense aussi à la jeune champione belge, Chloé Graftiaux, qui s'y est tuée à la descente à cause d'une chute de pierre et d'une chute de 600 mètres. C'était en 2010. Elle avait 23 ans et voulait devenir guide. Et puis, notre grand champion belge des Dolomites, Claude Barbier, que les Italiens appelaient "Il divino Claudio". Qui invitait parfois Lionel Terray à venir s'entrainer à Freÿr, et qui lui aussi perdit la vie très jeune, à 39 ans, alors qu'il nettoyait la roche d'Yvoir des herbes qui encombraient la voie.
Et les anciens bien sûr. Comment, face au Mont-Blanc, ne pas penser à Jacques Balmat qui en fit le tout premier l'ascension,en 1786. Et Michel Croz, cet autre guide français qui, en 1865, amena l'Anglais Edward Whymper dans la première ascension victorieuse du Cervin, avant de se tuer dans une chute collective dans la redescente.
Je pourrais en citer de nombreux autres. Notamment le Suisse Ueli Steck, cet hyper-recordman de la vitesse en grimpe solitaire, qui voyait dans cette vitesse, un gage de sécurité contre les éléments. Lui aussi s'est tué très récemment, à 40 ans, en préparant une expédition au Népal.
Beaucoup sont morts jeunes de leur passion de Conquérants de l'Inutile, qui était souvent leur métier, comme aimait à le rappeller Louis Lachenal. Quelques-uns ont vécu très vieux comme Maurice Herzog (93 ans), ou Anderl Heckmair (98 ans), et surtout Riccardo Cassin devenu centenaire, et qui ne nous a quitté qu'en 2009, 71 ans après avoir été le premier au sommet des Grandes Jorasses.
Alpinistes
J'ai beaucoup randonné dans la Vanoise, mais c'est un des endroits que je préfère. J'y suis venu plusieurs fois, pour y faire le tour de l'Aiguille du Fruit, et en logeant soit dans le petit refuge des Lacs Merlet, soit, un peu plus bas, dans le plus grand refuge du Plan, où il arrivait de pousser les tables pour y danser après souper. Comme vous le voyez, le chemin continue droit devant, puis oblique sur la gauche pour parcourir le côté nord de l'Aiguille du Fruit, face au domaine de Moriond, qu'on appelle aussi Courchevel 1650. Sur toute cette zone, on a une aussi belle vue sur le versant italien du Mont-Blanc.
Alors, quand le moment viendra où d'une façon ou d'une autre, je me casserai la pipe, c'est dans cette zone que je désire me répandre. Et bien sûr, cela nécessitera votre aide, car mes jambes ne me porteront plus.. Fatalement. Donc, choississez un endroit un peu à l'écart de ce petit cemin, où pas grand monde ne passe, parmi les bouquets de joubarbes, où seules quelques marmottes curieuses viendront me regarder en prenant leur part de soleil, et d'où, de temps en temps je pourrai saluer un chamois qui apparaîtra au sommet d'un rocher. Surtout prenez soin de ne pas me cacher le Mont-Blanc. Ni les Grandes Jorasses. Car eux, ils seront encore là quand l'homme aura déjà plié bagage.
Pour y accéder, c'est facile. Il n'y a qu'à suivre le chemin et refaire ma rando autour de l'Aiguille du Fruit. Montez en voiture dans la vallée des Allues jusqu'à la toute fin de la route, dans le parking du bout de Mottaret (A). Là, entrez dans la réserve naturelle de la Tueda, où vous pourrez voir de superbes pins cembro (qui contiennent du cembrane, ce diterpène que javais étudié pendant ma thèse). Contournez le lac et dirigez-vous, après être passé sur le petit pont de bois du doron (le torrent) des Allues, vers le sentier ascendant (2) qui vous emmène vers le Parc de la Vanoise. Suivez le Doron, jusqu'au refuge du Saut (3), où quelques bancs vous autoriserons un petit moment de repos. Si c'est le printemps, l'eau du doron est transparente. Si c'est l'été ou le début de l'automne, l'eau sera laiteuse, car le gypse abondant dans les roches des alentours se dissout dans l'eau du doron et est transporté jusqu'au bas de la vallée. Si c'est l'hiver, n'y montez pas. Car vous pourrez arriver en raquettes jusquà ce refuge du Saut, mais la suite sera inaccessible. Derrière le refuge, le chemin continue le long du doron en direction du Col du Soufre, un endroit riche en phosphore, argent et soufre, et où on jouit d'un magnifique panorama sur le glacier de Gébroulaz, source du doron, d'un côté, et sur le Lac Blanc de l'autre.
Mais ce ne sera pas cette fois votre chemmin, bien qu'il en vaille la peine. Cette fois, continuez sur votre droite devant le refuge, en montant vers le Col de Chanrouge (4). De Mottaret au Saut, vous serez montés de 1700 à 2100m. À Chanrouge, vous serez à 2530 m. Jusque là donc, un dénivellé de 830 m, et vous vous trouvez au sud-est de l'Aiguille du Fruit.
De là, vous parcourez un long chemin vers le Nord, qui descend en pente douce en suivant le ruisseau des Avals. Vous arriverez à un embranchement situé à 2320 m. À droite, le sentier descend en suivant le ruisseau des Avals vers le refuge du Grand Plan. Quittez ce chemin, et montez par le chemin de gauche en direction des Lacs Merlet. Vous remontez ainsi jusqu'au petit refuge des Lacs Merlet, à 2410 m (5), juste à côté des deux petits (mais très profonds) lacs Merlet. Vous pouvez y faire étape. La vue sur les lacs et les Glaciers de la Vanoise y est superbe. La nourriture est bonne, les douches sont bien et les toilettes chimiques sont top. Mais attention, prenez la précaution de réserver car ils ne peuvent accueillir que 14 personnes. Sauf si vous avez amené votre tente, car les aires de refuges sont les seuls endroits où on peut camper dans les parcs nationaux. Et même dans ce cas, vous pourrez manger au refuge.
Après le refuge, continuez vers le Nord dans le vallon à droite du roc Merlet, en montant jusqu'à 2500 m. C'est là que vous trouverez le sentier et la vue sur le Mont-Blanc. Vous arrivez enfin à l'endroit où je désire m'étendre (6). Mais en prenant à gauche, le long du chemin de Chanrossa, la vue est toujours aussi splendide.
Vous me laissez quelque pert par là. N'oubliez pas d'y placer un cairn, pour marquer l'endroit. Mais il vous faudra sans doute repasser chaque année pour maintenir le cairn en état, jusqu'au jour où l'oubli aura fait son chemin.
Vous pouvez maintenant continuer la boucle autour de l'aiguille du fruit. Inutile de descendre jusque dans le vallon, comme l'indique le petit plan. Vous pouvez rester au plus près de la crête en passant par pierreuses et herbages pour monter jusqu'au col du Fruit (B). Là, vous vous trouverez sur une petite crête où vous prendrez un petit moment de repos. Pas très long, car il y fait très venteux, sur ce petit couloir entre côté nord et côté sud. Vous descendrez la pierreuse en pente raide qui vous ramène vers le sud au doron des Allues. Vous franchissez le petit pont de bois qui vous fait passer sur la rive gauche où se trouve le chemin. Vous le prenez sur la droite et vous redescendez vers Mottaret.
Bonne promenade.