NATURE RESEARCH BRIEFINGS - 29 mars 2023 - RÉSUMÉ D’ARTICLE

Les Swahili du Moyen-Âge avaient des ancêtres africains et asiatiques

Les analyses de l'ADN ancien de 80 individus enterrés dans des villes de pierre médiévales swahili le long de la côte est-africaine ont révélé que ces individus avaient à la fois une ascendance africaine et asiatique. Les résultats suggèrent que dans la plupart des cas, les femmes africaines ont commencé à avoir des enfants avec des hommes asiatiques il y a au moins 1 000 ans, à plusieurs endroits le long de la côte.

 

Ceci est un résumé de : Brielle, E. S. et al., Entwined African and Asian genetic roots of medieval peoples of the Swahili coast
Nature 615, 866–873 (2023).

 

Le problème

KILWA KISIWANI,
KILWA KISIWANI

Des personnes venues de l'extérieur de l'Afrique sont arrivées sur la côte swahili de l'Afrique de l'Est vers 900 après J.-C., et des premières études ont attribué le développement des villes et cités-États de la région aux commerçants d'Arabie et de Perse1. Cependant, des recherches archéologiques ont révélé que la culture swahili médiévale présentait une continuité avec la culture matérielle préurbaine des premiers établissements côtiers africains2. La question de savoir si les peuples swahili responsables de la construction des villes de pierre le long de la côte sont originaires d'Asie ou de populations locales fait l'objet de débats depuis environ un siècle, principalement parmi les universitaires non locaux. En revanche, l'histoire orale swahili se reconnait une culture ayant des racines africaines et asiatiques3.

Le constat

Nous avons séquencé l'ADN ancien de 80 individus de 6 villes de la côte swahili (Fig. 1a), datées d'entre 1250 et 1800, et d'une ville intérieure datée d’après 1650. Nous avons constaté que les populations swahili médiévales étaient constituées en de grandes proportions d'Africains et d'autres ascendances (Fig. 1b). Dans la plupart des cas, les individus étudiés descendaient d'hommes persans et de femmes africaines de plusieurs populations locales. Une proportion substantielle de l'ascendance du premier flux de migrants asiatiques provenait de l'Inde. Les données ADN suggèrent qu'au fil du temps, la fraction d'ascendance asiatique dérivée d'Arabes plutôt que d'individus de Perse a augmenté, et les habitants de la côte swahili ont également épousé des individus de l'intérieur de l’Afrique.

Figure 1 du resume Nature

Décryptage du patrimoine biologique des individus swahili médiévaux.
a : Carte de la côte swahili (jaune) dans le contexte de l'océan Indien. Les formes représentent les emplacements des sites archéologiques. Années AD = après JC.
b : Les proportions estimées de diverses ascendances d'individus swahili côtiers médiévaux. La plupart de ces personnes ont des ancêtres des populations africaines locales (soit bantoues, soit makwasinyi - un mélange de communautés bantoues et pastorales), de la Perse et de l'Inde. Certains montrent également des ancêtres arabes, malgaches (c'est-à-dire de l'actuel Madagascar) ou de chasseurs-cueilleurs. Les populations de chasseurs-cueilleurs et d'éleveurs étaient des groupes nomades. Les barres d'erreurs représentent la plage d'incertitude des proportions d’ascendance.
Crédit : Brielle, E. S. et al./Nature

Les populations swahili médiévales étaient principalement formées de femmes africaines ayant des liens avec des hommes persans, qui avaient environ 10% d'ascendance indienne. Un tel biais sexuel extrême des contributions ancestrales peut refléter une hiérarchie sociale historique entre les cultures mélangées, on pourrait donc supposer qu'il reflète une conquête perse des villes africaines. Cependant, une combinaison des données génétiques, du contexte culturel et des recherches archéologiques antérieures4 suggère une explication plus probable. Les groupes bantous d'Afrique de l'Est étaient matrilinéaires, de sorte que l'identité sociale d'un enfant était tracée à travers la lignée de sa mère. Par conséquent, le biais sexuel parmi les ancêtres des individus étudiés pourrait suggérer que les femmes africaines ont volontairement formé des familles avec des princes ou des commerçants persans, reliant les vastes réseaux commerciaux et les bases de ressources des marchands africains et persans. Ces familles ont créé des communautés commerciales avec de vastes réseaux sociaux et familiaux, favorisant le succès économique de la civilisation médiévale swahili. Les unions d'individus persans et africains locaux se sont produites à plusieurs endroits le long de la côte est de l'Afrique vers l’an 1000 ; l'histoire orale swahili soutient ce récit. Certaines populations swahili conservent encore cette ascendance médiévale3.

Les implications

L'histoire complexe de la politique raciale, de classe et ethnique a rendu particulièrement difficile la détermination de l'identité swahili. En effet, en comparant les profils génétiques de deux cohortes d'individus actuels s'identifiant au swahili, nous avons constaté que l'auto-identification en tant que swahili n'est pas corrélée de manière fiable avec les ancêtres génétiques swahili médiévaux. Seuls les individus actuels issus de lignées liées aux villes de pierre médiévales ont conservé une grande partie de l'ascendance génétique des populations swahili médiévales.

Une limite de cette étude est la diversité des conditions de conservation des restes humains. Parce que les tombes swahili ont été réutilisées, les restes récupérés ont tendance à être fragiles, fragmentaires et mixtes. De plus, les objets funéraires et le fait que la plupart des individus étudiés aient été enterrés dans des cimetières à l'intérieur (plutôt qu'à l'extérieur) des murs de la ville indiquent qu'il s'agissait d'individus d'élite. Les populations ne faisant pas partie de l’élite, qui auraient été enterrées hors des périmètres urbains5, sont peu représentées dans cette étude. Ainsi, l'ascendance de la population au sens large pourrait différer de celle des individus que nous avons analysés. Les recherches futures devraient viser à corriger cette surreprésentation des individus d'élite.

On ne sait pas si les populations d'élite swahili médiévales se sont formées à l’occasion d’un seul échange local puis se sont propagées le long de la côte, ou si les immigrants perses-indiens s’étaient unis à des Africains de l’élite locale en plusieurs endroits, cela reste incertain. Cette étude a découvert deux cas distincts de mélange. Nous pourrions être en mesure de détecter d'autres événements de mélange avec une couverture géographique étendue de Madagascar, de la Somalie, du Mozambique, des Comores, de Zanzibar et de la côte indienne du Kerala, qui abrite le peuple Mappila Malayalam. — Chapurukha M. Kusimba est à l'Université de Floride du Sud, Tampa, Floride, États-Unis, et Esther S. Brielle est à l'Université Harvard, Cambridge, Massachusetts, États-Unis.

Au-delà de l’article

J'ai longtemps été hypnotisé par les magnifiques villes de pierre monumentales de la côte swahili, auxquelles on a longtemps dénié l’origine culturelle africaine : les premiers archéologues ont affirmé qu'elles étaient l'œuvre de n'importe qui sauf de peuples africains. Cependant, les fouilles ont révélé une culture matérielle en contradiction flagrante avec cette interprétation. J'ai passé les quatre dernières décennies à rechercher les ancêtres des peuples swahili, qui ont construit ces villes de pierre. Ce projet a commencé en 2008 lorsque j'ai fait équipe avec Sibel Kusimba, Sloan Williams et Janet Monge et, plus tard, avec Ryan Raaum. En 2018, J. Monge a suggéré de contacter David Reich, dont l'équipe a généré des données à l'échelle du génome pour des dizaines de personnes médiévales et modernes. D. Reich a suggéré d'inclure également des échantillons de Songo Mnara, en Tanzanie, fouillé par Jeffrey Fleisher et Stephanie Wynne-Jones. Les échantillons de Kilwa et Lindi ont été fournis par Mary Prendergast et Elizabeth Sawchuk et ont permis des conclusions plus générales sur la formation de la population le long de la côte médiévale swahili. Esther S Brielle, qui fait partie du groupe Reich, a dirigé l'analyse des données. Une partie de l'énigme de l'ascendance des peuples swahili a maintenant été résolue. - C.M.K.

Commentaire de l'éditeur

Cette étude constitue un apport considérable à l’ensemble des données génomiques précédentes du continent africain et, en particulier, à ceux de la période historique étudiée. Les données donnent un aperçu détaillé de l'ascendance génétique des peuples de la côte swahili du Moyen Âge à aujourd'hui. — Michelle Trenkmann, rédactrice en chef, Nature

Références

  1. Chittick, N. Kilwa: Une ville commerçante islamique sur la côte est-africaine (British Institute in Eastern Africa, 1974). (retour)
  2. Horton, MC dans Changer l'identité sociale avec la propagation de l'islam (éd. Whitcomb, D.) 67–88 (The Oriental Institute of the University of Chicago, 2004). (retour)
  3. Mazrui, AM & Shariff, IN Le swahili: idiome et identité d'un peuple africain (Africa World, 1994). (retour)
  4. Middleton, J. Marchands africains de l'océan Indien : swahili de la côte est-africaine (Waveland, 2004). (retour)
  5. Kusimba, C.M., Kusimba, S.B. & Dussubieux, L. Afr. Archéol. Rév. 30, 399–426 (2013). (retour)