Néandertal, le mystère de la grotte de Bruniquel
En février 1990, un jeune spéléologue amateur de 15 ans, Bruno Kowalczewski sent un souffle d'air venir d'une petite ouverture de la taille d'un terrier de lapin dans la paroi des gorges de l'Aveyron, à proximité de Bruniquel dans le Tarn-et-Garonne. Il se doute que ce souffle d'air traduit la présence d'une cavité recouverte par la roche. Il se met à creuser pour désobstruer un passage très étroit. Après deux ans d'effort, il débouche sur de grandes cavités à plus de 300 mètres de l'entrée. Parmi celles-ci, une salle avec de curieux assemblages au sol, formés manifestement de stalacmites empilés. Il vient de découvrir la grotte de Bruniquel. En langage de spéléologue, il est « l'inventeur » de la grotte. Mais il a la présence d'esprit de ne toucher à rien, et de faire appel à la Société spéléo-archéologique de Caussade (SSAC), une commune proche de Montauban.
Une première étude est menée par Michel Soulier, alors président de la SSAC, et par François Rouzaud, spéléologue et conservateur en chef du patrimoine à la Direction régionale des affaires culturelles de la région Midi-Pyrénées. En 1992 et 1993, ils prospectent l'ensemble de la grotte et procèdent notamment au relevé de structures faites de tronçons de stalagmites. En 1995, ils font dater par le carbone 14 un morceau d'os brûlé trouvé sur la structure : le carbone 14 n'est plus décelable, ce qui indique un âge supérieur à 47 600 ans. Les travaux sont interrompus à la mort de François Rouzaud, disparu dans la grotte de Foissac en Aveyron le 24 avril 1999.
En 2011, Sophie Verheyden, chercheuse à l'Institut royal des sciences naturelles de Belgique, visite la grotte, poussée par la curiosité après avoir examiné certaines des photographies de la grotte exposées aux châteaux de Bruniquel. Elle est géologue et chimiste et est spécialisée dans la datation de concrétions calcaires très anciennes par la méthode uranium-thorium. Elle a aussi plusieurs contacts avec des laboratoires américains et chinois qui utilisent la technologie la plus précise pour ce type de datation, à savoir la spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif (ICP-MS). Elle contacte alors Dominique Genty, chercheur au CNRS au Laboratoire des Sciences du climat et de l'environnement (LSCE, CEA-CNRS-UVSQ, Saclay, France), spécialiste des concrétions, qui connaissait l'existence et l'intérêt de cette structure. Il la met en contact avec Jacques Jaubert pour envisager une opération archéologique et pour dater la structure, avec Michel Soulier, mandaté et autorisé par les propriétaires. Deux campagnes de relevés et prélèvements se déroulent aux printemps 2014 et 2015, sous la direction de Jacques Jaubert et Sophie Verheyden. Elles aboutissent aux résultats publiés dans Nature en 2016 : les structures de stalacmites ont été réalisées il y a près de 180 000 ans.
Malgré qu'on retrouve dans la grotte des bauges d'ours bruns, il avait déjà été bien établi, dès les années 90, que la construction de ces structures étaient trop complexes pour être dues au hasard de bris de stalacmites par ces ours. Ces structures devaient être d'origine humaine. Vu leur âge, elles ne pouvaient avoir été construites que par l'Homme de Néandertal.
C'est donc là la plus vieille trace de construction par un être humain, antérieur à l'arrivée en Europe de l'Homme moderne. De plus, de nombreux foyers indiquent qu'ils maîtrisaient parfaitement l'art de faire et d'entretenir le feu. Bien évidemment, l'entrée découverte par Bruno Kowalczewski n'était pas l'entrée d'origine. Celle-ci s'était sans doute effondrée depuis longtemps. Néanmoins le mystère reste entier : qu'allaient faire les hommes de Néandertal aussi profondément sous terre. Il est impossible d'imaginer qu'ils y logeaent si loin de la surface. Et que signifient ces constructions calcaires. Il reste bien des choses à découvrir à Bruniquel.
Les films ci-dessous donnent un état de la question :
- le film réalisé par Luc-Henri Fage a été réalisé sur 3 années et suit toute l'évolution de la recherche de l'équipe franco-belge.
- dans un second film intitulé Grotte de Bruniquel : Néandertal bâtisseur, Jacques Jaubert revient à la Cité des Sciences sur les années d'étude de la grotte avec force de détails techniques et scientifiques
- dans un troisième film, Jacques Jaubert revient aussi sur Bruniquel au Pôle International de la Préhistoire des Eyzies, mais ajoute beaucoup de détails sur l'Homme de Néandertal, sa vie et sa culture.
- le quatrième film est une conférence débat entre les différents protagonistes, incluant l'inventeur de la grotte, Bruno Kowalczewski.
- Enfin, le cinquième film est une conférence de Jacques Jaubert donnée le 6 mai 2024 au Musée de l'Homme, qui, au delà de Bruniquel, fait l'état des connaissances actuelles sur les premières fréquentations de l'Homme du milieu souterrain.
Néandertal, le mystère de la grotte de Bruniquel
( un film de Luc-Henri Fage, diffusé sur ARTE en 2019 )