opera garnier facade
Opéra Garnier

En lisant récemment qu'une exposition sur Edgar Degas est organisée au musée d'Orsay, dans le cadre de l'anniversaire de l'Opéra de Paris, j'apprends ainsi que l'Opéra de Paris fête cette année ses 350 ans. Je me doute bien qu'on ne parle pas ici de l'opéra Garnier1, dont la construction a commencé sous Napoléon III, au même moment que les grands travaux haussmanniens qui modifieront en profondeur l'image de Paris. L'opéra Garnier sera terminé et inauguré sous la Troisième République, en 1875.

J'ai donc eu envie d'en connaître d'avantage, et suis remonté 350 ans en arrière, soit en 1669, pendant le règne de Louis XIV. Le roi a alors 31 ans et contrôle lui-même les affaires du pays, depuis la mort de Mazarin en 1661. Mazarin dirigeait effectivement le pays, en tant que Ministre Principal. A sa mort, les prétendants au poste se bousculèrent au portillon. Parmi ceux-ci, un des personnages les plus puissants du Royaume, Nicolas Fouquet, Superintendant aux Finances. Mazarin, toutefois, se méfiait de Fouquet, et avant sa mort, il avait conseillé au roi d'écarter Fouquet et de lui préférer Jean-Baptiste Colbert, pour s'occuper des finances du Royaume. Colbert avait de fait toute la confiance de Mazarin pour ce poste, car il avait géré avec brio l'immense fortune de Mazarin pendant les 10 dernières années de sa vie. 

Louis XIV, alors âgé de 22 ans, décide de diriger seul le "Conseil des Ministres", dont les deux principaux "ministres" furent Colbert et Louvois. Le premier cumulait les charges de Contrôleur des Finances, et de Secrétaire d'Etat de la Maison du Roi et de la Marine. Louvois, celle de Secrétaire d'Etat à la Guerre, puis Contrôleur des Finances, à la mort de Colbert en 1683. Fouquet, on le sait, fut non seulement écarté, mais banni et emprisonné à vie.

C'est dans ce contexte politique, qu'est fondée  en 1669, sous l'instigation de Colbert, l'Académie royale de Musique, regroupant un groupe de chanteurs, le premier orchestre professionnel de France, et le corps de ballet de l'Académie royale de Danse. Cette académie est aussi appelée Académie d'opéra, ou tout simplement Opéra. Seul le vocable "Opéra" est encore utilisé aujourd'hui. On ne fait donc plus la distinction en français entre l'oeuvre et l'édifice,à l'encontre des anglo-saxons qui distinguent opera (l'oeuvre) d'opera house.

Car, en 1669, c'est bien de l'établissement d'un lieu où seront donnés les opéras qu'il s'agit. La direction en sera donnée, par lettre de patente de Colbert, le 28 juin 1669, au poète Pierre Perrin, un "parolier de musiques qui se chantent" et qui avait contribué à faire connaître l'opéra italien à la Cour.
De fait certains opéras avaient déjà été joués à Paris du vivant de Mazarin, tels que La finta pazza de Francesco Sacrati, dans la salle du Petit-Bourbon, face au Louvre, ou l'Ercole amante de Francesco Cavalli, lors de l'inauguration de la salle des Machines du Palais des Tuileries. Mais tout ceci restait encore très confidentiel, et Colbert, à l'instar des Italiens, a voulu donner à l'opéra, ses lettres de noblesse, en créant cette académie.

Voici le texte de cette patente :

L'Académie d'opéra

Lettre patente du 28 juin 1669

Louis, par la grâce de Dieu, Roy de France & de Navarre, à tous ceux qui ces présentes Lettres verront. Salut. 

Notre amé & féal Pierre Perrin, Conseiller en nos Conseils, & Introducteur des Ambassadeurs près la Personne de feu notre très-cher & bien amé Oncle le duc d'Orléans, Nous a très-humblement fait remontrer, que depuis quelques années les Italiens ont établi diverses Académies, dans lesquelles il se fait des Représentations en Musique, qu'on nomme Opera : Que ces Académies étant composées des plus excellens Musiciens du Pape, & autres Princes, même de personnes d'honnêtes familles, nobles, & Gentilshommes de naissance, très-sçavans é expérimentés en l'Art de la Musique qui y vont chanter, font à présent les plus beaux Spectacles & les plus agréables divertissemens, non-seulement des Villes de Romes, Venise & autres Cours d'Italie, mais encore ceux des Villes & Cours d'Allemagne & d'Angleterre, où lesdites Académies ont été pareillement établies à l'imitation des Italiens ; que ceux qui font les frais nécessaires pour lesdites Représentations, se remboursent de leurs avances sur ce qui se reprende du Public à la porte des lieux où elles se font ; & enfin que s'il nous plaisoit de lui accorder la permission d'établir dans notre Royaume de pareilles Académies pour y faire chanter en public de pareils Opera, ou Représentations en Musique & langue Françoise, il espere que non-seulement ces choses contribueroient à notre divertissement & à celui du Public, mais encore que nos sujets s'accoutumant au goût de la Musique se porteroient insensiblement à se perfectionner en cet Art, l'un des plus nobles des Arts libéraux.

À ces causes, desirant contribuer à l'avancement des Arts dans notre Royaume, & traiter favorablement ledit Exposant, tant en considération des services qu'il a rendu à feu notre très-cher & bien-amé Oncle, que de ceux qu'il nous rend depuis quelques années en la composition des paroles de Musique qui se chantent, tant en notre Chapelle qu'en notre Chambre ; Nous avons, audit Perrin, accordé & octroyé, accordons & octroyons par ces Présentes, signées de notre main, la permission d'établir en notre bonne ville de Paris & autres de notre Royaume, une Académie, composée de tel nombre & qualité de personnes qu'il avisera, pour y représenter & chanter en Public des Opera & Représentations en Musique & en vers François, pareilles & semblables à celles d'Italie : & pour dédommager l'Exposant des grands frais qu'il conviendra faire pour lesdistes Représentations, tant pour les Théâtres, Machines, Décorations, Habits qu'autres choses nécessaires, Nous lui permettons de prendre du Public telles sommes qu'il avisera, & à cette fin d'établir des Gardes & autres gens nécessaires à la porte des lieux où se feront lesdistes Représentations : Faisant très-expresses inhibitions & défenses à toutes personnes, de quelque qualité & conditions qu'elles soient, même aux Officiers de notre Maison, d'y entrer sans payer & de faire chanter de pareils Opera, ou Représentations en Musique & en vers François dans toute l'étendue de notre Royaume, pendant douze années, sans le consentement & permission dudit Exposant, à peine de dix mille livres d'amende, confiscation des Théâtres, Machines & Habits, applicable un tiers à Nous, un tiers à l'Hôpital Général, & l'autre tiers audit Exposant. Et attendu que lesdits Opera & Représentations sont des Ouvrages de Musique tous différens des Comédies recitées, & que nous les érigeons par cesdites Présentes, sur le pied de celles des Académies d'Italie, où les Gentilshommes chantent sans déroger : Voulons & Nous plaît, que tous les Gentilshommes, Damoiselles, & autres personnes puissent chanter audit Opera, sans que pour ce ils dérogent au titre de Noblesse, ni à leurs Priviléges, Charges, Droits & Immunités, révoquant par ces Présentes toutes Permissions & Priviléges que Nous pourrions avoir ci-devant donnés & accordés, tant pour raison dudit Opera que pour réciter des Comédies en Musique, sous quelque nom, qualité, condition & prétexte que ce puisse être. 

Si Donnons en Mandement à nos amés & féaux Conseillers les Gens tenans notre Cour de Parlement à Paris, & autres nos Justiciers & Officiers qu'il appartiendra, que ces Présentes ils ayent à faire lire, publier & enregistrer ; & du contenu en icelles, faire jouir & user ledit Exposant pleinement & paisiblement, cessant & faisant cesser tous troubles & empêchemens au contraire : Car tel est notre plaisir. 

Donné à Saint Germain-en-Laye, le vingt-huitième jour de Juin, l'an de grâce mil six cens soixante-neuf, & de notre Regne le vingt-septième. 

Signé, LOUIS, & sur le repli, par le Roy, COLBERT

 

Plaque Jeu de paume de la Bouteille Rue Jacques Callot Paris 6

Plaque commémorative
au coin de la rue Caillot
et de la rue Mazarine

 

 

 

Il s'agit donc d'un privilège (un monopole) octroyé à Perrin, aucun autre théâtre de France n'ayant le droit d'organiser des représentations d'opéras. Mais à l'encontre d'autres théâtres, tels que la Comédie Française, l'Académie d'opéra doit vivre de ses propres recettes, aucune subvention royale ne lui étant accordée. Perrin s'associe avec le marquis de Sourdéac et le financier Laurens de Bersac qui louent pour cinq ans la salle du Jeu de Paume de la Bouteille, dans la rue Fossé de Nesle (actuelle rue Mazarine) et qui y font construire la machinerie nécessaire aux spectacles d'opéras. Cette salle, louée en 1670, sera le premier Opéra de Paris. La première représentation eut lieu en 1671, avec Pomone, composé par Robert Cambert sur un livret de Pierre Perrin. Cet opéra est le premier opéra d'un compositeur français. Mais Perrin, escroqué par ses associés, est un temps emprisonné pour dettes, et se voit dans l'obligation de céder sa patente.

Jeu de Paume de Béquet Bel Air View VJohnson 2008 p101

Salle du Bel-Air, vue des remparts

 

 

Lully la reprendra, avec grand succès, à la fois quant à la création et quant à la gestion. Il y créera une vingtaine d'oeuvres, et lui et ses successeurs négocieront âprement la cession pour tout ou partie du privilège à des entrepreneurs d'autres villes. Ainsi, en 1684, une seconde académie de musique voit le jour à Marseille. Puis suivront Lyon, Rouen, Lille et Bordeaux. Toutefois Lully se voit contraint de changer de salle, car les ex-associés de Perrin sont toujours sous contrat de location avec la salle de la Bouteille. Il déménage donc l'Académie dans une autre salle de jeu de paume : la Salle du Bel-Air ou salle du Jeu de Paume de Bécquet, rue Vaugirard, près du fossé entourant la ville. En août 1672, il la fait transformer en salle de théâtre avec sa machinerie de scène, et y donne ses premières représentations en Novembre 1972. Pendant ce temps, les associés de Perrin restent liés par bail avec la Bouteille, mais n'ont plus le droit d'y produire aucune oeuvre d'art lyrique. Toutefois, dès le début, Lully considère ce nouvel endroit comme temporaire, car peu appropriée pour ses projets de développement de l'opéra en France. A la mort de Molière, le 1er février 1673, soit à peine 3 mois après l'ouverture de la Salle du Bel-Air, Lully insiste auprès de Louis XIV et obtient d'occuper gratuitement la salle du Théâtre du Palais Royal où la troupe de Molière se produisait. Le Théâtre du Palais Royal existe toujours aujourd'hui. il est situé sur le côté nord des jardins, à l'angle de la rue Montpensier, et de la rue de Beaujolais et ne doit pas être confondu avec la Comédie Française, qui est attenante au Palais Royal, côté sud. Celle-ci, située depuis 1799 dans la salle Richelieu, abrite la Troupe des Comédiens-Français, fondée par l'ancienne troupe de Molière, 7 ans après sa mort, en 1680.

theatre palais royal hier et aujourdhui
Théâtre du Palais Royal, au XVIIe siècle et aujourd'hui

 

L'Académie de musique restera au Théâtre du Palais Royal pendant 90 ans, jusqu'à ce que celui-ci soit détruit par un incendie. A la mort de Lully, en 1687, des suites d'un gangrène due à une blessure mal soignée au pied, il cède sa patente à son gendre Jean Nicolas de Francine. Celui-ci n'est pas compositeur lui-même, si bien qu'il fait appel à plusieurs compositeurs de cette époque baroque pour perpétuer la création de l'Académie. Notamment Marc-Antoine Charpentier. Il était aussi mauvais gestionnaire et finit par vendre sa patente à Pierre Guyenet en 1704. Celui-ci ne parvient pas à redresser les finances et de Francine revient en 1715, pour enfin la céder au compositeur André Cardinal Destouches, en 1728. La période de Jean Nicolas de Francine marque un net recul de la notoriété de l'Académie royale de Musique. Destouches ne restera à la direction de l'Académie que deux ans. Ensuite, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les administrateurs qui lui succéderont, ne resteront en poste que pour un ou deux ans. Certains seront des financiers, d'autres des compositeurs.

Le Théâtre du Palais Royal a donc été détruit par un incendie en 1763. L'Académie royale de Musique émigre alors dans la Salle des Machines du Palais des Tuileries, en attendant la construction d'une nouvelle salle au Palais Royal. Pour l'occasion, la Salle des Machines verra ses dimensions fortement réduites pour être adaptée aux spectacles d'opéras. Elle pourra occuper 2000 personnes. Pour la petite histoire, c'est de cette salle que naîtront les expressions "côté cour" (cour du Louvre, à droite pour les spectateurs) et "côté jardin" (jardin des Tuileries, à gauche pour les spectateurs).

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Le Palais des Tuileries, en 1757, vu du quai d'Orsay, fermant la cour du Louvre.
A l'avant plan, le Pavillon de Marsan, formant le coin, suivi immédiatement de la salle des Machines (encadrée de rouge)

 

En 1770, la nouvelle salle du Palais Royal est achevée par l'architecte Pierre-Louis Moreau (qui pour l'occasion, rhabille toutes les façades du Palais Royal) et l'Académie royale de Musique y rétablit ses quartiers. Celle-ci est située plus à l'Est que l'ancien théâtre, au coin de la rue de Valois. C'est le premier édifice parisien qui a été dès le départ conçu pour être un Opéra.
C'est une période faste de l'Académie royale de Musique. La nouvelle salle sera inaugurée le 20 janvier 1770 avec Zoroastre de Jean-Philippe Rameau, puis elle verra de nombreuses création, en particulier tous les opéras français du compositeur autrichien Christoph Willibald Gluck.

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La deuxième salle du Palais Royal, oeuvre de l'architecte Pierre-Louis Moreau, inaugurée en 1770

 

incendie 1781 opera palais royal

Incendie de la seconde salle du Palais-Royal, vu de l'intérieur des jardins



Malheureusement, seulement 11 ans plus tard, en 1781, cette seconde salle du Palais Royal sera détruite à son tour par un incendie. 

Le désastre intervient à 20h30, après une représentation d’Orphée et Eurydice, opéra de Gluck joué dans cette même salle depuis 1774, probablement suite à l’embrasement du décor. L'incendie dura pratiquement une journée entière. Il sera immortalisé par plusieurs tableaux de Hubert Robert, peints de jour comme de nuit, comme celui-ci, vu de l'intérieur des jardins du Palais Royal.

Ce théâtre ne sera jamais reconstruit. Le Théâtre de la Porte Saint-Martin, beaucoup plus au nord sur le Boulevard Saint-Martin, a été construit à la hâte en deux mois pour le remplacer. Dans l'intervalle, la compagnie d'opéra se produit à l'Hotel des Menus-Plaisirs de Paris, rue Bergère.

Les Menus-Plaisirs étaient une organisation intégrée à la Maison du Roi. Elle était une des organistations les plus importantes de la Maison du Roi et s'occupait de tout ce qui concernait les "plaisirs du Roi", c'est à dire, principalement les cérémonies, les fêtes et les spectacles, dont, bien entendu, les opéras faisaient partie. Les bâtiments qui constituaient cet Hotel des Menus-Plaisirs occupaient un vaste terrain dans un quadrilatère entouré par ce qu'on appelle aujourd'hui la rue Bergère, la rue du Faubourg Montmartre, la rue Richer et la rue du Faubourg Poissonière. C'est dans ces bâtiments qu'étaient rangés le mobilier, les décors, les parures ... servant aux fêtes et spectacles organisés pour les "plaisirs du Roi" (à ne pas confondre avec l'autre Hotel des Menus-Plaisirs, fondé par Louis XV en 1745, à Versailles, destiné aux mêmes fonctions, et dans lequel se réunirent les Etats généraux, en 1789). Ces bâtiments comportaient une salle de théâtre assez vaste dans laquelle on répétait les spectacles qui seraient donnés à Versailles, et qui donc pendant les mois nécessaires à construire le Théâtre de la rue Saint-Martin, abrita l'Académie royale de Musique. A partir de 1784, une partie de ces bâtiments, circonscrits aux rues Bergère, du Conservatoire et Sainte-Cécile, deviendont le Conservatoire de Musique de Paris. La salle de spectacle fut transformée en salle de concert, à l'acoustique exceptionnelle, dans laquelle fut donné en 1828 le premier concert de la Société des concerts du Conservatoire. Depuis 1946, cet établissement est devenu le Conservatoire national supérieur d'art dramatique

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Ancien Hotel des Menus-Plaisirs de Paris, devenu Conservatoire national supérieur d'art dramatique,
à l'angle des rues Sainte-Cécile et du Conservatoire, dans le 9e arrondissement.

 

La salle des Menus-Plaisirs de Paris n'abritera l'Académie royale de Musique que durant deux mois, car dès l'incendie du Palais-Royal, Marie-Antoinette exigea la création urgente d'une toute nouvelle salle d'Opéra. Le nouveau lieu est choisit à la Porte Saint-Martin, à l'emplacement d'un cimétière protestant. Sa construction par l’architecte Lenoir fut réalisée en deux mois seulement. Pour respecter l'exigence de la Reine, Lenoir a mobilisé des centaines de compagnons et de corps de métiers, travaillant jour et nuit. Ce chantier pharaonique conduisit à un véritable exploit : la nouvelle Académie royale de Musique fut construite en deux mois à peine : première pierre le 26 août 1781 , inauguration officielle le 26 octobre, en présence de la Reine. Cette salle comportait 1800 places dès sa création. Pour la première fois, des sièges étaient placés au parterre. Elle reste encore aujourd'hui une des plus grandes salles de théâtre des boulevards parisiens.
Le Théâtre de la Porte Saint-Martin, à son tour, eut une existence éphémère en tant qu'opéra. Cela dura 13 ans. Il restera donc un opéra durant toute la Révolution Française, jusqu'au jour de la chute de Robespierre, le 9 thermidor An II (27 juillet 1794), marquant la fin de la Terreur. Il portera à son tour, le nom d'Académie royale de Musique, juqu'à la fin de la Monarchie, après la fuite à Varennes de Louis XVI, en 1791. Ensuite, il s'appelera Théâtre de l'Opéra en 1791 et 1792, puis Théâtre des Arts en 1793 et 1794. Après la chute de Robespierre et durant tout le Directoire, le théâtre n'est plus utilisé que comme salle de réunion, puis, tout en restant un bien d'Etat, il est abandonné, avant d'être rouvert, sous le nom de Théâtre de la Porte Saint-Martin (nom qu'il n'avait jamais porté jusque là). On y joue des pièces à grand spectacle, des comédies et des ballets. A l'exclusion d'une fermeture entre 1807 et 1810, suite à un décret impérial, et l'arrêt forcé entre 1871 et 1873, suite à un incendie lié aux événements de la Commune de Paris, le théâtre a continué à exister jusqu'à nos jours et constitue toujours l'un des théâtres les plus populaires de Paris. Après l'inauguration du théâtre reconstruit, en 1873, on y jouera les plus grandes pièces du répertoire, comme Cyrano de Bergerac qui y sera créée, ou plusieurs oeuvres de Victor Hugo, par exemple. Sarah Bernhardt s’y produit pendant plusieurs mois d’affilée et y reste fidèle jusqu’à la fin du siècle.

theatre porte saint martin 1828
Théâtre de la Porte Saint-Martin en 1828

 

C'est sur un ordre du Comité de Salut Public, que l'Académie de Musique, devenue Académie des Arts, doit quitter la Porte Saint-Martin, destinée à devenir une salle de réunion, pour intégrer la nouvelle salle fondée à ses frais par Mlle Montansier (de son vrai nom Marguerite Brunet, une directrice de théâtre déjà connue à Paris), située sur la rue Richelieu, devenue rue de la Loi pendant le Révolution. Ce théâtre, appelé alors Théâtre National ou salle Montansier, devient le Théâtre des Arts, en continuation du nom donné jusqu'en 1794 au Théâtre de la Porte Saint-Martin. C'est là que furent notamment représentées les premières en France de La Flûte Enchantée de Mozart, ou enore celle de La Création de Joseph Haydn. C'est en se rendant à cette dernière que Bonaparte, encore Consul, échappe de justesse à une machine infernale. Cette salle s'appellera successivement Théâtre des Arts (1794), Théâtre de la République et des Arts (1797), Théâtre de l'Opéra (1802), Académie impériale de musique (1804, à l'instauration de l'Empire), Académie royale de musique (1814 sous la Restauration), Académie impériale de musique (1815, pendant les cent jours), puis à nouveau Académie royale de musique (1815, sous la seconde Restauration). En 1820, le Duc de Berry, fils de Charles-Philippe de France (frére de Louis XVI et de Louis XVIII et futur Charles X) y est poignardé par Pierre Louis Louvel, un bonapartiste qui espère ainsi éteindre le dynastie des Bourbons. Le Duc mourut le lendemain de l'attentat2. Par représailles contre le théâtre, qui pourtant n'était en rien responsable de cet attentat, Louis XVIII le fit démolir, et à la place y construisit une chapelle expiatoire. Cette chapelle ne fut jamais terminée, car après la Révolution de Juillet (1830), elle fut à son tour démolie en 1839, et un square pris sa place, nommé tout d'abord place Richelieu, puisque le rue devenue rue de la Loi sous la Révolution Française avait repris son nom de rue Richelieu. En 1844, à la demande de Louis-Philippe, la Fontaine Louvois y fut construite par Louis Visconti. Cette fontaine monumentale est composée de sculptures allégoriques qui représentent quatre grands fleuves et rivières français : la Seine, la Garonne, la Loire, et la Saône (à l'instar de la Fontaine des Quatre Fleuves, bâtie par Gian Lorenzo Bernini sur la Piazza Navona de Rome, qui représente les plus grands fleuves des quatre continents connus). Cette place Richelieu fut par après rebaptisée Square Louvois. Il est situé dans le deuxième arrondissement, à courte distance du Palais-Royal.

Opéra de la rue Richelieu
Académie de Musique de la rue Richelieu ou Salle Montansier, à l'endroit où se trouve aujourd'hui le Square Louvois
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Square et Fontaine Louvois, aujourd'hui.

 

Théâtre Louvois interior view Donnet 1821 plate12 GB Princeton

 

Il faut donc, à la fermeture et la destruction de la Salle Montansier, à nouveau retrouver un nouveau lieu pour l'Académie de musique de Paris. L'emplacement choisi est celui d'une partie des jardins de l'hôtel de Choiseul, l'hôtel lui-même étant affecté à l'administration de l'opéra. L'endroit se trouve plus au Nord, dans le 9e arrondissement, sur la rue Le Peletier. On décide que se sera une salle provisoire, et elle sera construite en à peine un an. L'Opéra Le Peletier (ou Opéra de la rue Le Peletier) restera cependant en activité pendant 52 ans. Mais pendant sa construction, il faut trouver des salles pour continuer à y donner des représentations lyriques. Ce sera d'abord le Théâtre Louvois, situé sur la rue Louvois, face à la rue Lulli, située juste à l'arrière de la salle Montansier. Deux représentations seulement y seront données et le théâtre lui-même disparaîtra en 1825.


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La salle Favart, de nos jours.

 

 

Ensuite ce sera l'Opéra-Comique, appelé aussi " salle Favart ", situé place Boieldieu, un peu plus au Nord, toujours dans le 2e arrondissement. Là aussi, quelques représentations seulement seront données, avant l'inauguration de la salle de la rue Le Peletier, le 16 août 1921. La salle Favart, elle, construite en 1783, à la demande de Marie-Antoinette, ne cessera d'être active jusqu'à aujourd'hui, malgré deux incendies, en 1838 et 1887, qui exigent des fermetures temporaires pour refaire une nouvelle salle. La salle actuelle est donc la troisième salle Favart. La salle Favart accueille l'Opéra-Comique jusqu'en 1972, date à laquelle cette mission est abandonnée, pour devenir une école de formation de jeune chanteurs. Lorsque la société du Théâtre national de l'Opéra est fondée en 1978, la salle Favart devient un temps, la seconde salle d'opéra de Paris, jusqu'à la construction de l'opéra Bastille, inauguré en 1989. En 1990, la salle Favart retrouve son autonomie. En 2005, elle obtient le statut d'entreprise publique sous le nom Théâtre national de l'Opéra-Comique, et se voit confier une mission très large, comprenant aussi bien des pièces sans musiques que des oeuvres lyriques, et un répertoire allant de la musique baroque à la musique contemporaine.

L'Opéra1 de la rue Le Peletier est donc construit pendant ce temps, en un an, du  au 

Foyer de danse opera le peletier
Foyer de la danse à l'Opéra de la rue Le Peletier (1872) - Musée d'Orsay - Paris

 

Construit en structure légère, l'opéra Le Peletier était destiné à n'être qu'une salle temporaire. Il resta cependant actif pendant 52 ans, et connu les plus grandes heures de l'opéra parisien, à une époque où les créations étaient nombreuses et qui voyait l'émergence d'un grand nombre de compositeurs de génie, en Italie, en Allemagne, en Autriche, en Russie, en France et ailleurs en Europe, et où il y avait un engouement d'une grande partie de la population pour l'art lyrique. Malheureusement, ce qu'on craignait depuis le début pour cette très grande salle aux structures légères et entièrement éclairée au gaz, finit par arriver : dans la nuit du 28 au 29 octobre 1873, pour une cause inconnue, l'opéra Le Peletier fut la proie d'un violent incendie qui dura près de 24 heures. Tout l'édifice fut détruit. Seule une grande partie des archives purent être sauvées, grâce à la réaction prompte de l'archiviste et du souffleur. Tous les papiers historiques de la maison, les livrets, les partitions, la collection des affiches depuis 1804, le recueil des états d'émargement depuis 1749 contenant les autographes des artistes furent ainsi épargnés.

opera de la rue le peletier
Haut: Opéra de la rue Le Peletier vers 1873, peu avant sa destruction
Bas:
Gauche: Scéne de l'Opéra lors de son inauguration, le 16 août 1821, avec "Les Bayardères" de Charles Simon Castel; les loges du rez-de-chaussée devant la scène sont murées, en souvenir du Duc de Berry qui occupait la loge de droite à la rue Richelieu
Milieu: La salle vers 1873
Droite: L'incendie du 28-29 octobre 1873

 

La construction de l'opéra Garnier avait déjà débuté sous le Second Empire, mais avait été interrompue du fait de la guerre Franco-Prussienne de 1870 et de la Commune de Paris de 1871. Suite à l'incendie de l'opéra Le Peletier, on décida donc d'en hâter le chantier, en même temps qu'on modifiait en profondeur le tracé des boulevards situés autour de cette future place de l'Opéra, et qu'un réseau de bouches d'incendies était construit sous tous les boulevards et artères de la ville (la métaphore comparant les rues principales aux artères du corps humain, était déjà connue, car inventée par Victor Hugo en 1830, lorsqu'il rédigeait Notre Dame de Paris - Livre Troisième, Chapitre II : "Paris à Vol d'Oiseau", paragraphe 10).


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Salle Ventadour vers 1830

 

En attendant la finition de l'opéra Garnier, l'Académie de Musique occupe temporairement la Salle Ventadour. Cette salle du 2e arrondissement, aujourd'hui devenue le foyer social de la Banque de France, accueillit un temps l'Opéra-Comique. On y vit aussi la création de Ruy Blas de Victor Hugo en 1838, puis en 1941, les compositeurs italiens étant de retour à Paris, ils occupent pendant 30 ans cette salle et de nombreux opéras italiens y sont représentés en France pour la première fois. Et non des moindres, puisque parmi ceux-ci, on trouve Don Pasquale de Donizetti, Nabucco, Il Trovatore et Rigoletto de Verdi, mais aussi Fidelio de Beethoven

 

 

Dès 1858, Napoléon III prend la décision de faire construire un nouvel opéra, suite à l'attentat de l'anarchiste italien Orsini devant l'Opéra de la rue Le Peletier. Cette rue est étroite, et l'Empereur considère que l'endroit ne peut pas être correctement sécurisé. Il décide donc que ce nouvel opéra doit être construit dans un endroit beaucoup plus ouvert. C'est le Baron Haussmann qui lui suggère l'endroit, sur une place en forme de losange d'où partent plusieurs grands boulevards, et qui sera entourée de bâtiments de prestige. Un concours est organisé, et c'est le jeune architecte Charles Garnier qui l'emporte. Les travaux commencent dès 1861, tandis qu'au même moment, une nouvelle large avenue est percée allant de ce qui deviendra la place de l'Opéra à l'aîle Richelieu du Palais du Louvre, dans laquelle Napoléon III réside. Voulant en effet se protéger au mieux de nouveaux attentats, il fait non seulement ériger l'Opéra dans un espace très ouvert, mais cette large avenue lui permettra également de rejoindre rapidement l'Opéra dans sa berline, par cette avenue de l'Opéra moins propice aux attentats. Une fois arrivé, une rampe d'accès et une entrée séparées lui permettront d'entrer dans le théâtre.

Les travaux colossaux avancent assez lentement et requièrent une équipe nombreuse d'ouvriers et artistes. Ils seront inachevés lorsque le chantier sera arrêté pour cause de guerre franco-prussienne, en 1870. Les troubles qui suivront, la Commune de Paris et les débuts hésitants de la Troisième République2, seront peu propices à rassembler les fonds nécessaires à la finition du chantier. Napoléon III ne connaîtra jamais la fin du chantier de son Opéra. Il meurt en exil en Angleterre le 9 janvier 1873, des suites de complications d'une lithiase vésicale. Et ce n'est qu'en octobre de cette même année, suite à l'incendie de l'Opéra de la rue Le Peletier, qu'on décide de relancer et d'activer les travaux de l'opéra Garnier. On rappelle donc Charles Garnier qui s'y active pendant toute l'année 1874. Ce ne sera pas tâche facile pour lui, car le chantier a été abandonné pendant 5 ans, et il lui faut retrouver le maximum d'ouvriers, artisans et artistes qui avaient oeuvré à la construction, et qui sont maintenant dispersés. De même, certains matériaux, nécessaires en grande quantité, sont difficiles à rassembler, et pour certains, les prix ont énormément augmenté en 5 ans. De nombreuses oeuvres, sculptures ou peintures resteront inachevées, et les plans ne pourront pas toujours être respectés. Il s'en suivra un manque d'harmonie en plusieurs endroits.

Charles Garnier réussira cependant à parachever son oeuvre en un an, et l'Opéra sera inauguré le 5 janvier 1875. Vu de l'extérieur il a des allures monolithiques, de styles éclectiques, plus ou moins d'inspiration baroque. A ses détracteurs, parmi lesquels l'Impératrice Eugénie, qui lui reprochaient que cet édifice était d'aucun style connu, Charles Garnier répondait " C'est du Napoléon III ! " Tout était dit, l'orgueil de l'empereur était comblé, et il n'hésitait pas à répondre que son épouse n'y connaissait rien en matière d'art. Néanmoins, je trouve l'ouvrage très harmonieux, très certainement grâce au fait qu'il se détache largement des édifices haussmaniens qui l'entourent, du fait du large espace sur lequel il est bâti, et aussi parce qu'il peut être observé de très loin, en prenant du recul dans la large avenue de l'Opéra. Quant à l'intérieur, je le trouve splendide et majestueux. En entrant, le regard est tout de suite happé par le grand escalier tout en larges courbes, aux marches évoluant du convexe au concave, en marbre blanc de Seravezza, à la balustrade en onyx, et aux balustres en marbre rouge, s'appuyant sur un socle en marbre vert de Suède, le tout décoré de dorures et de mosaïques, et des deux statues-torchères géantes en cuivre au bas de l'escalier. Les autres espaces que je trouve grandioses : le grand foyer, le foyer de la danse, et la superbe salle, son lustre et son plafond, dont on reparlera plus bas. Et bien sûr tout l'espace de scène, ses cintres et ses machines; scène la plus vaste jamais construite à cette époque.

En cette fin de 19e siècle, l'Opéra n'est pas uniquement un lieu de spectacle. C'est aussi un endroit de rencontre, entre gens de pouvoir, industriels, ou tout simplement les membres de la bourgeoisie parisienne. On y discute politique ou affaires. Garnier y construit donc de vastes espaces dévolus aux rencontres avant le spectacle ou pendant les entr'actes, qui dépassent largement la superficie de la salle de spectacle : le grand hall d'entrée, la salle des abonnés et ses couloirs, le grand foyer et ses salons attenants, l'avant-foyer et ses petites rotondes attenantes (rotonde de la lune, aux tons froids argentés, côté jardin, et rotonde du soleil, aux tons chauds, côté cour), et puis les larges couloirs donnant vers les loges, et les deux grandes rotondes qui flanquent la salle, juste dans l'axe central du losange de la place. La rotonde Zambelli, côté jardin, qui servait de bibliothèque et qui est maintenant le musée du palais Garnier. Et la rotonde Chauviré, côté cour, au rez-de-chaussée de laquelle on achète actuellement les tickets ou les abonnements, et où au premier étage, à hauteur des premières loges, on trouve, comme se fut le cas depuis le début, la rotonde du Glacier.

Mais rien ne vaut quelques photos plutôt que de longues explications pour rappeler la richesse de l'intérieur de l'Opéra.

photos opera garnier

Opéra Garnier (aussi appelé palais Garnier), inauguré le 15 janvier 1875

1. Grand escalier. La première volée permet d'accéder aux fauteuils d'orchestre (autrefois "parterre"), au balcon (autrefois "amphitéâtre") et aux baignoires (les loges du rez-de-chaussée de part et d'autre des fauteuils d'orchestre). Les volées latérales permettent d'accéder aux 4 autres étages de loges et aux espaces ouverts au public, comme le Grand Foyer.
2 .Le Grand Foyer, pour les rencontres et les consommations durant les entr'actes. Donnant d'un côté sur la loggia et de l'autre sur l'avant-foyer. Largement équipé de glaces, il s'inspire des grandes galeries de châteaux tels que Versailles. Les lustres comme presque tous les lustres de l'Opéra sont dessinés par Charles Garnier.
3. Le foyer de la Danse, salle de répétition et d'échauffement pour le corps de ballet, il est situé immédiatement derrière la scène. Le mur métallique le séparant de la scène peut être soulevé, permettent ainsi au corps de ballet d'être vu depuis la salle et augmentant ainsi la profondeur et la perspective.
4. La salle vue de la scène, avec 3 étages de loges, et tout en haut, le paradis.
5. Vue latérale du balcon de la salle, et les 3 étages de loges. On distingue sur la gauche, les baignoires au niveau des fauteils d'orchestre.
6. Salle vue de l'arrière. Le balcon à l'avant-plan, les fauteulis d'orchestre plus bas, séparés par un couloir central, les loges d'avant-scène, et le rideau de scène, peint en trompe-l'oeil.
7. Le grand lustre central, lui aussi dessiné par Garnier. Il mesure 8 mètres de haut et pèse 8 tonnes.
8. Le plafond actuel peint d'après une maquette de Marc Chagall, et placé en 1964. Il est marouflé sur un disque circulaire en polyester apposé contre l'ancien plafond, peint par Jules Eugène Lenepveu. Il évoque, en cinq parties aux vives couleurs, les grands jalons et ouvrages représentatifs de l'histoire des arts de l'Opéra et de la danse ainsi que quatorze compositeurs marquants des arts lyriques et chorégraphiques du répertoire. La partie centrale recouvre la grille de l'ancien plafond, qui servait à remonter le lustre, et qui n'était plus nécessaire. Le plafond de Chagall, juste apposé contre le plafond d'origine, peut donc être retiré à tout moment.
9. Maquette du plafond original de Jules Eugène Lenepveu, visible dans le musée du palais Garnier. Ce plafond représente les muses et les heures du jour et de la nuit. Il mesure 54 mètres de diamètre, et la grille centrale de 18 mètres de diamètre servait à remonter le lustre pour son entretien.
10. Maquette du palais Garnier, se trouvant au Musée d'Orsay. ale vestibule d'entrée voûté en berceau, avec les statues de Rameau, Lully, Gluck et Haendel, représentant respectivement les oeuvres lyriques françaises, italiennes, allemandes et anglaises. b. salle de contrôle des billets. c. Grand Foyer. d. Avant-Foyer, avec à ses deux extrémités, deux petites rotondes : celle de la lune, côté jardin (ouest), aux couloirs froides argentées, et celle du soleil, côté cour (est) aux couleurs chaudes dorées. e. Grand escalier. f. salle de spectacle. g. la grande rotonde sous la coupole métallique. La cheminée du lustre a maintenant été supprimée, et la rotonde a été divisée en deux dans le sens de la hauteur, pour en faire trois très grandes salles de répétition : la salle Marius Petipa au-dessus, immédiatement sous la coupole, d'une superficie de 400 m2, et au-dessous, deux salles de 220 m2, les salles Lifar et Noureev. h. le bassin de la Pythie d'Apollon, cachée sous le grand escalier. i. l'ancienne salle des abonnés. j. la cage de scène, incluant le plateau de scène lui-même, au plancher en chêne, de 53 mètres de large et de 26 mètres de profondeur, incliné de 5 degrés vers le public. Il constituait à l'époque le plus vaste plateau de scène au monde. Les coulisses côté jardin et côté cour (appelées ainsi, car à l'origine, elles contenaient les décors coulissants sur des rails), les cintres au–dessus de la scène, contenant 83 tubes, les porteuses, longues de 28 mètres et pouvant porter des décors ou des rideaux sur une hauteur de 17 mètres et jusqu'à un poids d'une tonne. Les machineries sous la scène qui par un jeu de trappes dans le plateau de scène, peuvent faire apparaître décors ou objets, même en cours de spectacle. Et bien sûr, toute une série de tambours et contrepoids pour actionner l'ensemble. k. Le Foyer de la Danse, entouré de nombreuses autres salles de répétition, dont juste au-dessous, la salle de répétition du choeur, et plusieurs étages de loges d'artistes.

 

Charles Garnier équipe l'Opéra d'une entrée latérale du côté ouest qui communique avec une rotonde entourée de colonnes, et située juste sous la salle de spectacle. Cette entrée et cette rotonde est réservée aux abonnés. Il faut de fait se rendre compte qu'à cete époque, les personnes abonnées se rendaient jusqu'à 3 fois par semaine à l'Opéra, et jouissaient de conditions d'accès et de places privilégiées dans la salle. C'est dans cette rotonde ouverte, située au niveau le plus bas de l'Opéra, que Charles Garnier, dont le nom complet est Jean Louis Charles Garnier, dissimulera, par modestie, la seule signature de l'exécution de son chef d'oeuvre (une salle de 2000 personnes, la plus grande scène à cette date, et le plus grand édifice avec une surface au sol de 15 000 m2). Son nom, et les dates de début et de fin de la construction, figurent de façon quasi cryptée sur le plafond de cette ancienne salle des abonnés : JEAN LOUIS CHARLES GARNIER ARCHITECTE 1861-1875.

 

Les entrées au spectacle sont, à cette époque, organisées de façon très méthodique : les spectateurs du dernier étage, le paradis, entrent 3 heures avant le début du spectacle, et ainsi de suite. Les abonnés, eux, sont appelés 30 minutes avant le début. Ils passent alors devant des miroirs pour vérifier leurs tenues, passent devant le bassin de la pythie d'Apollon, partiellement masquée par un brouillard d'eau, puis montent les escaliers menant vers le grand hall, pour enfin gravir le grand escalier vers les loges. Ils sont ainsi vus de tous ceux qui se trouvent déjà dans la salle.

L'opéra Garnier s'appelait alors, et ce, jusqu'en 1988, tout simplement et tout normalement Opéra de Paris, et sur la façade de l'Opéra figure l'appelation qui a toujours été l'appellation officielle de l'Opéra depuis sa création en 1669 : " Académie Nationale de Musique ". Seul le qualificatif changea selon les époques : royale, nationale ou impériale.

académie nationale de musique

 

Aussi, sur le lambrequin métallique surmontant le rideau de scène, Charles Garnier fait marquer la date "ANNO 1669" qui commémore la date de création de l'Opéra parisien, comme nous l'avons vu, par la lettre de patente de Colbert, sur ordre de Louis XIV. Sur le bord du cercle situé au centre de cette date, on trouve d'ailleurs " MUSICAE ACADEMIAM INSTITUIT LUDOVICUS XIV" (Louis XIV fonda l'Académie de Musique), et au centre, un soleil portant la devise de Louis XIV " NEC PLURIBUS IMPAR", à la traduction incertaine, "À nul autre pareil" ou "Au-dessus de tous". Au-dessus de la mêlée, donc, comme le soleil. Devise elle-même empruntée à Philippe II d'Espagne, qui lui régnait sur deux continents.

lambrequin opera garnier

 

On raconte que lors de l'inauguration de l'Opéra, le 15 janvier 1875, Charles Garnier dut payer sa place et n'eut droit qu'à une loge du second étage. Le très royaliste second président de la IIIe République, Patrice de Mac Mahon, l'humiliant ainsi pour avoir accepté ce chantier commandé par Napoléon III.

Une légende raconte aussi que le lourd lustre de 8 tonnes est tombé sur les spectateurs pendant une représentation du Faust de Gounod, le 20 mai 1896. Il n'en est rien. Il s'agit en fait de la chute de l'un des 8 contrepoids du lustre, chacun de 750 kg, qui tomba lors d'une représentation, non de Faust, mais d'Hellé d'Etienne-Eugène Floquet. Le lustre ne bougea pas, mais le contrepoids traversa les cinquièmes loges, vides et termina sa course au niveau des quatrièmes loges, où il tua une vieille dame très modeste. Cette affaire, et la panique qui s'en suivit, inspira Gaston Leroux pour un des épisodes principaux du Fantôme de l'Opéra, publié en 1910, et repris par Andrew Lloyd Weber, pour sa comédie musicale The Phantom of the Opera, jouée sans interruption à Londres depuis 1986, et la plus longtemps jouée à Broadway également.

Les créations lyriques de l'opéra Garnier furent essentiellement françaises, parmi lesquelles 4 opéras de Camille de Saint-Saëns et Thaïs de Jules Massenet. Parmi les oeuvres chorégraphiques, l'une des plus célèbres au monde y fut créée en 1928: le Boléro de Maurice Ravel.

Pour une information complète sur l'architecture et les divers travaux entrepris à l'opéra Garnier entre 1861 et 1987, lire son carnet d'identité de juin 1987.

 

En 1982, le ministre de la culture, Jack Lang, considère que l'opéra Garnier a une salle trop petite, et qu'il est dépassé en matière technique. Il propose au président François Mittérand la construction d'un nouvel opéra, moderne et populaire. L'idée naît immédiatement de faire coïncider l'inauguration de ce nouvel opéra avec les fêtes de commémoration du bicentenaire de la prise de la Bastille. D'ailleurs, sur la place de la Bastille se trouve une gare désafectée depuis 1969. Il est donc très vite décidé que cette gare sera démolie et que ce sera la place du nouvel opéra. Dès 1983, un concours est organisé, et l'uruguyo-canadien Carlos Ott emporte le chantier.

opera bastille 3photos

L'opéra Bastille voit le jour comme prévu, en 1989. C'est un opéra résolument contemporain. Sa façade avant, semi-circulaire est tournée vers la colonne de juillet de la place de la Bastille. Evidemment, l'espace réservé aux déambulations du public pendant les entr'actes y est beaucoup plus limité qu'à l'opéra Garnier. Les temps ont changé. Par contre, la salle est d'une part plus grande (2745 places) et constituée de grands balcons modernes d'où la vue du spectacle est bonne de partout. Mais personnellement, je n'aime pas cette architecture, surtout parce qu'elle est construite en un endroit où ce modernisme choque mon regard. Ce fut d'ailleurs une constante dans les architectures voulues par Lang et Mittérand. Si mon regard a fini par accepter la pyramide du Louvre, parce qu'elle est placée au milieu de la très large cour Richelieu, et qu'elle est en verre, je trouve par contre totalement absurdes, ces colonnes de Buren, en avant-scène des jardins du Palais-Royal. L'intérieur de l'opéra Bastille aussi, je le juge beaucoup trop froid et contemporain, par rapport au classicisme des oeuvres lyriques.

L'opéra Bastille, construit dans la hâte, pour être prêt pour les cérémonies du bicentenaire, a connu des débuts difficiles. Les machineries, pilotées maintenant électroniquement, ont connu de nombreuses pannes qu'il fallait parfois réparer en pleine représentation. Et sa façade s'est très vite dégradée. En 1990 déjà, une des dalles de façade s'écroulait, et il faudra équiper cette façade de filets de protection pendant des années. Un interminable procès s'en suivra entre l'Etat et les constructeurs. Procès finalement gagné par l'Etat en 2007.

En plus de la salle principale, l'opéra Bastille comporte deux autres salles plus petites : l'une de 500 places située sous la salle principale, et l'autre de 237 places dans un batiment annexe. Une troisième, de 800 places, est prévue pour 2022-2023.

Depuis 1994, les deux opéras parisiens forment officiellement l'Opéra national de Paris, sous une direction commune, et sous tutelle du ministère de la Culture. C'est désormais le nom officiel de ce qui depuis 1669 s'appelait toujours officiellement l'Académie de musique, regroupant l'art lyrique et le ballet. L'opéra de la place de l'Opéra, même s'il est, par tradition, toujours appelé Opéra de Paris, a donc vu son nom officiellement changé en opéra Garnier ou palais Garnier.

Si on regarde la programmation annuelle de l'Opéra de Paris, on constate que le palais Garnier est désormais principalement dévolu à la danse, tandis que la majorité des opéras se jouent à l'opéra Bastille. Les concerts eux, sont principalement organisés dans les salles annexes de l'opéra Bastille.

 

Voici donc bouclée l'histoire des 14 salles occupées par l'Académie royale de Musique, devenue aujourd'hui l'Opéra national de Paris. Je terminerai ce texte en les situant sur une carte de Paris, et en les numérotant selon leur ordre chronologique, de 1669 à aujourd'hui.

 


1. le mot "opéra" prend une majuscule quand on parle du lieu dans l'absolu ("je vais ce soir à l'Opéra" ou quand il est suivi du nom d'un lieu (l'Opéra de Paris, ou l'Opéra de la rue Le Peletier), mais une minuscule s'il porte un nom particulier (L'opéra Le Peletier, l'opéra Garnier, l'opéra Bastille. Et bien sûr, une minuscule lorsqu'il s'agit d'une oeuvre (l'opéra Thaïs de Massenet). (retour)

2. Le Duc de Berry était le second fils du dernier Bourbon régnant, Charles X (son premier fils, le Duc d'Angoulème, qui avait épousé Marie-Thérèse, fille de Louis XVI, n'avait pas d'enfant). Au moment de son assassinat, il avait une fille, et son épouse était enceinte. L'enfant naissant après la mort de son père, était un fils, Henri d'Artois. Lorsque Charles X doit abdiquer après les "Trois Glorieuses" de juillet 1830, suite à un pouvoir conservateur et autoritaire, il force le Duc d'Angoulème à renoncer au trône et désigne son petit fils comme successeur sous le nom d'Henri V. Celui-ci ne règnera cependant pas, puisque les Français choisirons le cousin de Charles X, le Duc d'Orléans, qui deviendra "Roi des Français" sous le nom de Louis-Philippe Ier, tandis qu'Henri d'Artois, alors agé de 9 ans à peine, est exilé en Angleterre. Plus tard, en 1870, après la défaite de Sedan face à la Prusse, et la chute de Napoléon III, la nouvelle Assemblée est à grande majorité composée de monarchistes, divisés en légitimistes, fidèles aux Bourbons, et orléanistes. Adolphe Thiers est nommé chef de l'exécutif et deviendra le premier président de la Troisième République. Henri d'Artois, portant alors le titre de courtoisie de Comte de Chambord, fait son grand retour en France. Des négociations vont très loin pour restaurer la monarchie et ont été sur le point d'aboutir. Une opposition intransigeante du Comte de Chambord au drapeau tricolore, qui durera de longues années, et son refus de recontrer les orléanistes, dont le Comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe, le mettra en constante opposition avec l'exécutif. Thiers finira, en 1873, par décréter que la république est incontournable, et les monarchistes majoritaires le forceront à démissionner, au profit de l'orléaniste Patrice de Mac Mahon, devenant donc second président de la Troisième République. Bien que les pourparlers avec le Duc de Chambord se poursuivent, celui-ci demeure intraitable par rapport au drapeau tricolore. La Troisième Restauration semble alors compromise, et la majorité et Mac Mahon, qui considèrent toujours que cette République est transitoire avant la restauration de la monarchie, s'éloignent du Duc de Chambord pour se rapprocher des Orléanais. Mac Mahon fait voter le mandat présidentiel à sept ans en novembre 1873, en espérant que le Duc de Chambord mourra avant la fin de son mandat présidentiel. La République est réellement instituée en 1875 par les nouvelles lois constitutionnelles de février et de juillet. Les élections de 1877 et de 1879 donnent la majorité à la gauche à la Chambre, puis au Sénat, et Mac Mahon, ne disposant plus d'aucun soutien des conservateurs, se voit dans l'obligation de démissionner. La Troisième République est enfin stabilisée, ... jusqu'au funeste 10 juillet 1940. (retour)