La grotte ornée de l'époque gravettienne de Cussac
Le Lascaux de la gravure
Nous habitons sur la rive droite de la Dordogne, à une vingtaine de kilomètres en aval de Sarlat. Presqu'en face de chez nous, sur la rive gauche, se trouve la commune du Buisson-de-Cadouin, où en 2000 a été découverte une grotte méconnue du grand public (méconnue pour des raisons évidentes que nous allons voir), qui constitue pourtant une des grottes majeures de l'art pariétal en France, avec Lascaux, Cosquer et Chauvet.
Cette grotte offre plusieurs particularités. Tout d'abord, son inventeur (ainsi nomme-t-on le découvreur d'une grotte) était un authentique spéléologue, Marc Delluc. Et il a de suite compris qu'il était face à une découverte scientifique majeure, n'a touché à rien, à rebroussé chemin et a averti les autorités. C'est une grotte qui a été occupée très peu de temps à l'époque gravettienne, une des quatres grandes époques du paléolithique récent, avec l'Aurignacien (~ 45000 - 30000 AP*), le Solutréen (~ 22000 - 18000 AP*) et le Magdalénien (~ 18000 -12000 AP*). La culture gravettienne a donc existé pendant environ 9 millénaires, de 31000 à 22000 AP* environ, et a remplacé les Aurignaciens (cf grotte Chauvet) qui sont les derniers hommes modernes (Homo sapiens) à avoir cotoyé les hommes de Néandertal (Homo neantertalis). La grotte de Cussac, qui date du début du Gravettien, voire du Gravettien moyen, n'a été occupée que durant un à deux millénaires, car son ouverture naturelle, à l'endroit même de l'ouverture percée par Marc Delluc, s'est effondrée très vite. Les Gravettiens qui y ont pénétré ne semblent pas y avoir rencontré des mammifères vivant dans les grottes. On y trouve de nombreuses traces d'ours, mais l'ours des cavernes avait déjà disparu à leur époque. Également, aucun autre animal, aucun autre être humain n'y a pénétré après l'effondrement précoce de la voie d'accès. Marc Delluc et les chercheurs qui l'ont suivi ont eu cette grande chance de trouver un sanctuaire qui n'avait plus vu aucun être vivant entre ~ 29000 AP et +2000.
(AP = avant le présent).
Une des grandes particularités de Cussac est que c'est une grotte entièrement gravée dans un calcaire tendre. Des gravures monumentales faisant jusqu'à 35 mètres de long et se superposant sur de grands pans calcaires. On y dénombre des milliers de gravures d'animaux, mais ausi de femmes (chose extrêmement rare dans l'art pariétal) qui se superposent. La peinture y est quasi inexistante. Quelques traces de points rouges, vrasemblablement faits à l'ocre et quelques lignes faites au doigt.
Autre grande particularité, la grotte de Cussac est également une sépulture, puisqu'on y retouve trois endroits où des restes humains ont été placés dans d'anciennes bauges d'ours, et dans l'un de ces endroits, on a retrouvé un squelette entier. Les recherches archéologiques montrent qu'il ont été placés là lors de rites funéraires. Ces restes humains sont exactement de la même époque que les gravures. C'est jusqu'à présent un cas unique dans une grotte ornée.
Toutes ces raisons font de la grotte de Cussac une des grottes majeures du paléolithique récent, et cela explique pourquoi il a falu presqu'une décennie pour y entamer les travaux de recherches. Il fallait équiper les sols pour ne détruire aucune trace, comprendre et respecter l'environnement climatique du lieu, obtenir toutes les autorisations des propriétaires occupant les nombreuses parcelles situées au-dessus de la grotte (car au début des années 2000, le sous-sol était encore la propriété du propriétaire du sol). Les indemniser. Constituer une équipe multidisciplinaire, et réunir toutes les techniques disponibles pour une étude non-invasive de la grotte.
Les études dans la grotte, sous la direction de Jacques Jaubert, ont commencé en janvier 2010. La grotte est fortement chargée en CO2, et il faut y travailler pendant les semaines les plus froides pour que le CO2 soit à son minimum. Les scientifiques disposent uniquement des 4 semaines de janvier, et y pénètrent par équipes de 10, y travaillant une semaine. Une quarantaine d'heures par an et par personne. Le reste se passe en laboratoire. La technologie 3D est abondamment utilisée, et permet un maximum de travaux à distance. Mais cela explique pourquoi on y travaille depuis ausi longtemps, et pourquoi l'exploration est loin d'être finie
Cette grotte, par soucis de conservation, ne sera jamais ouverte au public. Comme Cosquer et comme Chauvet. Une réplique à l'identique est impensable car la grotte est constituée d'un long couloir de 1,6 kms de long. Mais une exposition comprenant des répliques des panneaux principaux va très bientôt ouvrir ses portes au Buisson-du-Cadouin en octobre 2024.
Ci-dessous, tout cela est décrit en détails dans un podcast de 2021 sur France Culture avec Jacques Jaubert et Valérie Feruglio, spécialiste de l'art pariétal, ainsi que dans une conférence donnée par Jacques Jaubert au Centre International d'Art Pariétal de Lascaux en juin 2018
Podcast sur France Culture
Bibliographie
- Jacques Jaubert, Norbert Aujoulat✝ et al., Le projet collectif de recherche « Grotte de Cussac » (Dordogne, France) : étude d’une cavité ornée à vestiges humains du Gravettien, dans Clottes J. (2012) L’art pléistocène dans le monde, Actes du Congrès IFRAO, Tarascon-sur-Ariège, septembre 2010
- J. Jaubert et al., The chronology of human and animal presence in the decorated and sepulchral cave of Cussac (France), Quaternary International 432 (2017) 5-24
- Émilie Brochard, Valérie Feruglio, Camille Bourdier, Catherine Ferrier, Stéphane Konik, Pascal Mora et Jacques Jaubert, Support et instruments : les media de la gravure dans la grotte de Cussac (Dordogne, France). Nouvelle approche méthodologique du Panneau du Réticulé, PALEO, 32 (2022) 126-146
- Sébastien Villotte, Frédéric Santos and Patrice Courtaud, Brief Communication: In Situ Study of the Gravettian Individual from Cussac Cave, Locus 2 (Dordogne, France), AMERICAN JOURNAL OF PHYSICAL ANTHROPOLOGY 158:759–768 (2015)
- Lysianna Ledoux, Thèse présentée le 25 janvier 2019. L’ichnologie préhistorique et les traces d’activités au sein des cavités ornées. Les grottes de Fontanet (Ariège) et de Cussac (Dordogne). Thèse présentée le 25 janvier 2019. Sous la direction de : Jacques Jaubert, Gilles Berillon et Nathalie Fourment